Zehra Sayin : « Il y a 165 000 personnes avec un handicap mental en Belgique, arrêtons de les ignorer »
Société
Bienvenue dans notre nouvelle rubrique « Tout feu tout femme » ! Deux fois par mois, Parismatch.be partira à la découverte d’une femme inspirante tous secteurs d’activités confondus. L’invitée nous parlera d’elle mais également… d’elles. Et de leurs places dans le monde d’aujourd’hui. De l’urgence de leurs combats et d’autres luttes pour toujours plus d’inclusion dans la société.
Par Laurent Depré
Pour démarrer cette série, c’est Zerha Sayin, CEO des Special Olympics Belgium qui assure depuis plus de 40 ans le développement du sport chez les personnes atteintes d’un handicap mental, qui ouvre le bal. Issue de la diversité, 36 ans, elle possède une volonté de fer d’amener le sport adapté vers toujours plus de lumière et l’espoir en l’humanité des gens. Zerha Sayin était un choix parfait pour lancer ce nouveau rendez-vous. Rencontre Parismatch.be.
Parismatch.be. On imagine que la CEO des Special Olympics Belgium a vibré en voyant les JO paralympiques et le nombre de médailles remportées par des athlètes belges…Zerha Sayin. « Tout à fait ! Ce sont toutes de belles victoires. Surtout si l’on tient compte des conditions de préparations et d’entraînements qui furent compliquées. Mais restons ambitieux et regardons vers nos voisins néerlandais qui ont ramené beaucoup plus de médailles encore (Ndlr: 59 pour les Pays-Bas, 15 pour la Belgique). Pour nos sportifs handicapés mentaux, voir les athlètes aux JO et aux paralympiques, c’était une bouffée d’oxygène et un espoir de pouvoir reprendre leurs activités le plus rapidement possible… »
Quel a été l’impact de la covid-19 sur les personnes handicapées et la pratique du sport ?« Énorme… Car ce ne furent qu’annulations sur annulations des évenements prévus de longue date. En mars 2020, nous avons forcément renoncé aux jeux nationaux d’Anvers puis à ceux de 2021 à Louvain-La-Neuve et il y a quelques semaines aux jeux d’hiver nationaux qui se profilait cet automne… Moralement et physiquement, cela n’a pas été simple pour ces athlètes. Special Olympics a développé une alternative de jeux virtuels mais il faut constater que bon nombre d’handicapés mentaux n’ont toujours pas compris pourquoi leurs championnats étaient annulés. L’isolement qui s’en est suivi a été difficile à vivre pour eux. Des athlètes ont pris dix kilos, d’autres ont fait des lourdes dépressions, certains se sont encore davantage marginalisé… «
Comment êtes-vous devenue CEO des Specials Olympics ?« De manière très simple : je faisais du volontariat auprès de l’organisation, je préparais des ‘lunch box’. Elle cherchait un profil pour développer son département marketing, communication et sponsoring. A ce moment-là de ma vie, je quittais le Luxembourg pour revenir vivre en Belgique et je quittais mon boulot chez Xerox. En 2015, on m’a donc proposé de devenir CEO et chaque jour je profite de cette expérience magnifique au niveau des valeurs humaines. C’est un métier où l’on vend l’humanité des émotions qui jaillissent du sprot adapté. »
Qu’est-ce qui vous donne envie chaque matin de partir au combat dans votre métier ?« C’est le fait de pouvoir offrir aux athlètes une vie dans laquelle il peuvent réellement exister et une société dans laquelle ils sont respectés ! J’ai cette rage de vaincre en moi pour les faire accepter comme des sportifs normaux, comme vous et moi. Je veux réveiller les gens en leur disant qu’il y a 165 000 personnes avec un handicap mental dans ce petit pays. Arrêtons de les ignorer, de les cacher ! »
Dans une interview récente vous expliquiez qu’il est important d’applaudir les athlètes handicapés mentaux lors d’événements, mais qu’il est encore plus important de pratiquer leur sport avec eux même 15 minutes… Pourquoi ?« Nous nous rendons compte, études scientifiques à l’appui, qu’ils évoluent trois fois plus vite au niveau de la motricité au contact des non-handicapés. Ce petit quart d’heure passé avec eux a donc une valeur ajoutée assez extraordinaire. Et puis au niveau humain, c’est d’une grande richesse et un partage incommensurable. »
Les médias parlent plus d’égalité homme-femme, d’intégration de personnes d’origine étrangère que du handicap mental. Cela reste difficile d’amener les médias à en parler ?« Je trouve que les médias s’y intéressent de plus en plus car le sport a acquis un nouveau statut ces dernières années. Un phénomène encore amplifié par la Covid-19. Le souci se trouve surtout sur la manière de le traiter et de ne pas mettre en avant l’importance de l’inclusion par le sport. On parle de sport comme vecteur mais pas encore de la place de la personne handicapée dans la société. »
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— ❤ Chris Howley ❤ Tue Sep 25 22:35:10 +0000 2018
L’inclusion des handicapés mentaux dans la société est une réalité. Les obstacles que doivent souvent surmonter les femmes durant leur carrière professionnelle en sont une autre …« Ce serait se voiler la face que d’affirmer que les femmes ne rencontrent pas ce type de difficultés dans le monde du travail. Je m’empresse de dire que cela n’a heureusement pas été mon cas. Je suis issue d’une famille très multiculturelle et je n’en ai jamais souffert ni à l’école, ni aux études supérieures et encore moins dans mes jobs. Être une femme m’a plutôt aidé dans mon parcours. Je pense que l’intelligence émotionnelle m’a permis d’avancer et d’être décisive notamment dans les négociuations avec des partenaires business. Moi, j’ai toujours privilégié les collaborations basées sur la fidélité et le long terme. C’est probalement une touche féminine, cela m’a en tout cas beaucoup servi. »
On estime que 60 % des freins à la carrière des femmes est ce que l’on apelle le sexisme ordinaire. Vous n’en avez donc jamais fait l’expérience durant votre carrière ?« Non mais je sais qu’effectivement de nombreuses femmes sont vues au travail comme étant mère avant tout et par conséquent se souciant en priorité de leur famille. À un moment donné de leur évolution de carrière, les femmes se posent naturellement ces questions car l’environnement ne leur permet tout simplement pas de faire autrement ! C’est très pernicieux. ‘Vais-je devoir faire un choix entre être mère et la poursuite de ma carrière ? »Une question que les hommes ne se posent jamais. C’est choquant qu’ils ne doivent pas se dire ‘suis-je un homme d’affaires, un mari, un père’ ? Je dis souvent aux jeunes femmes de mon organisation qui se posent ces questions : ‘si vous vous mettez déjà des obstacles, comment voulez-vous qu’on vous respecte et qu’on vous voit autrement ?’ «
Quels autres conseils donneriez-vous ?« Elles doivent être 100% alignées avec les choix qu’elles font. J’ai décidé, en début de carrière, que je ne voulais pas d’enfant et j’ai bossé à fond. En parfaite harmonie avec ma famille et mon compagnon. Aujourd’hui, j’ai 36 ans et mes priorités changent. Je sais ce que je peux faire, ce que certains choix apporteront mais cela ne doit jamais être un frein à l’ambition ou la volonté d’assurer des fonctions importantes. »
Vous trouvez les hommes qui n’ont pas d’attitudes sexistes mais qui restent silencieux tout aussi coupables ?« Certainement. Le fait de ne pas prendre position n’aide en rien. On peut faire le parallélisme avec la lutte pour les droits de l’enfance, des handicapés, de l’homosexualité… Ne pas prendre position, se taire ou ne pas avoir d’avis n’est plus acceptable. De plus en plus de femmes arrivent à des hauts postes dans les entreprises et elles ont besoin de soutien à tous les niveaux. Alors, les messieurs qui se taisent devraient dès aujourd’hui montrer des signes de soutien. Le monde évolue vite, ce serait dommage pour eux de rater le train… «
Des figures de femmes qui vous ont inspiré lorsque vous étiez plus jeune ? « En fait, lorsque j’ai démarré ma vie professionnelle chez Xerox, la CEO internationale du groupe était une femme ainsi que celle de notre grand concurrent, Ricoh. À 26 ans, lorsque vous débutez votre carrière dans une grande firme américaine qui vous en met plein les yeux pour vous attirer, c’est un élement qui motive et impressionne. Particulièrement dans un secteur très concurrentiel et d’hommes a priori. Tout comme lorsque j’ai rejoint les Special Olympics Europe, ma CEO (Ndlr: Ingrid Ceusters) était aussi une femme. Donc je n’ai jamais imaginé que ce ne serait pas possible un jour pour moi aussi…«
Est-ce que vous comprenez le côté plus offensif des jeunes générations de femmes qui exigent de se libérer totalement et rapidement de ce carcan sexiste encore en place dans la société ?« Je comprend le désir d’aller plus vite et plus loin. Par contre, j’ai l’impression que les jeunes femmes seront perdantes si elles s’aventurent trop sur le terrain de l’arrogance ou de l’agressivité. Il faut maintenir le dialogue et se baser sur leur intelligence émotionnelle qui est supérieure. Encore une fois, je peux comprendre qu’à un certain âge on veut dénoncer sa situation en prônant l’autre extrême. J’admire qu’elles crient haut et fort que ce n’est pas le monde dans lequel elles veulent évoluer. Et qu’elles exigent du changement mesurable ! »
3 faits d’actualité / 3 réactions
Kaboul et la prise de pouvoir par les Talibans. On craint pour la « liberté » dont jouissaient les femmes et même les jeunes filles sous le précédent pouvoir. Et on se montre admiratif devant ces femmes qui défient les Talibans en manifestant.« On ne peut être qu’admiratifs devant ces femmes qui osent défier ce pouvoir au lieu de se cacher ou de fuir. C’est un signe de désespoir également à partir du moment où elles risquent leur vie. Pour moi, elles ont tellement à apporter qu’elles devraient quitter l’Afghanistan pour revenir plus tard avec force. Je me demande si en restant là-bas, elles vont vraiment pouvoir faire la différence. J’ai des doutes… »
Le Texas est devenu il y a quelques semaines l’un des Etats les plus restrictifs en matière d’avortement aux Etats-Unis. La législation interdit toute interruption volontaire de grossesse (IVG) dès lors que les battements de cœur du fœtus sont perceptibles, soit à partir de la sixième semaine de grossesse environ. « C’est un sujet tellement personnel à cause des croyances, du vécu, de l’âge, du contexte… Chaque cas mérite d’ête pris au sérieux. Si une femme estime qu’elle doit avorter plutôt que de devenir une mauvaise mère, par exemple, c’est son droit. Une femme qui ne désire pas être maman va avoir les plus grandes difficultés à transmettre le meilleur. Pourquoi enclencher un scénario qui annonce un futur instable avec de telles bases ? La société n’a rien de positif à en retirer… Elle doivent garder le droit de dire non. »
La polémique d’Anuna De Wever critiquée après son tweet « Un vieil homme blanc hétérosexuel qui minimise la crise climatique« … à propos du producteur flamand Gert Verhulst.« Je trouve le propos choquant… De mon point de vue, ce n’est ni intelligent ni nécessaire. Les femmes doivent-elles se diminuer à parler le même langage agressif ? Pourquoi répéter ce pourquoi vous êtes stigmatisées vous-mêmes ? Montrons aux gens un modèle différent et inspirant justement. »
Du tac au tacte..
Etat civil – MariéeLieu d’habitation – BruxellesLangues parlées – Français, Néerlandais, Anglais, TurcDernières vacances – Du côté de NicePetit coin de paradis près de chez vous- Les étangs Mellaerts à Woluwe-Saint-PierreSport(s) pratiqué(s) – Aucun mais j’adore le foot que j’ai pratiqué jusqu’à mes 15 ans.Resto préféré – Le Umami à Anvers et le Belga Queen à Bruxelles.Café préféré – Les Jardins de Nicolas à BruxellesPéché mignon – Le chocolat : c’est matin, midi et soir… Mais je me calme !Magasin de fringue préféré – MangoPlat préféré – Pad Thai au pouletType de cuisine préférée – AsiatiquePlat le mieux géré – Je cuisine très peu mais je dirais les desserts comme le tiramisu aux fruits rougesVin, bière ou spiritueux ? Vin roséSéries Netflix (ou autre) du moment – LupinLivre lu en ce moment – Un livre sur le digital marketingCompte(s) suivi sur réseaux sociaux à conseiller – Je suis surtout abonnée à des contenus TedX (Ndlr: courte conférence de 15 minutes sur un sujet). Cela me permet de faire connaissance avec des secteurs qui sont tout à fait différents du mienMoment préféré de la journée – L’après-midi, je ne suis vraiment pas du matinUne devise ou proverbe – Disons que j’ai foi en une société totalement inclusive et que je crois en l’humain pour y arriver.Ce qui insupporte – L’injusticeÉpitaphe sur votre tombe – J’aimle trop la vie, je ne me suis jamais posé la question !