Ces marques françaises qui inventent la beauté de demain
Un anti-âge issu des déchets de banane, des rouges à lèvres sur mesure, des parfums développés par algorithme… Voici quelques-unes des idées qui ont germé dans l’immense serre que constitue Station F, le projet de Xavier Niel inauguré à Paris en juin 2017, plus grand campus de start-up au monde. « Les innovations dans l’univers de la beauté et de la cosmétique font partie des sujets les plus traités par nos entrepreneurs, note Roxanne Varza, sa directrice. Le fait que nous ayons un programme dédié, opéré par L’Oréal, montre qu’il y a un intérêt pour le sujet. » L’an dernier en France, l’industrie cosmétique a affiché une progression de 12 % et exporté pour 13,6 milliards d’euros (chiffres Febea). Un record ! On n’a jamais vu autant de créations d’entreprises, lancées non plus par des groupes mais par des indépendants, trentenaires sortis d’écoles de commerce ou salariés de grandes marques, pour qui les levées de fonds sont un déjeuner comme un autre.
Plateforme d'incubation
La révolution digitale est passée par là et la plupart des géants du secteur (L’Oréal, Unilever, LVMH, Puig…) leur consacrent même des plateformes d’incubation et/ou des fonds de capital-investissement. « Depuis un an et demi, le monde a littéralement changé. Une jeune génération est en train de renouveler la profession et sa créativité est hallucinante, souligne Camille Kroely, directrice Digital Open Innovation chez L’Oréal et du programme d’accompagnement de start-up chez Station F. Nous mettons à sa disposition notre expertise, notamment scientifique. Quand un groupe qui fait 26 milliards de chiffre d’affaires s’intéresse à une société qui démarre, il faut y voir plus qu’un modèle économique : une façon de partager, une volonté de transmettre. Ensemble, nous cocréons la beauté du futur. »
Ce contexte favorable ne fait pas tout, il faut bien des qualités pour émerger dans cette industrie ultraconcurrentielle. Quel est le profil de ces startuppeurs ? Qu’ont-ils en commun ? « Une idée différente, qui apporte quelque chose au secteur ou résonne fortement avec les préoccupations des clients d’aujourd’hui… et de demain », répond Camille Kroely. Soit l’écologie, le naturel, la personnalisation, le « made in France », l’intelligence artificielle ou encore des réseaux de distribution atypiques. Mais au-delà du concept, il y a bien sûr l’humain. « Ces nouvelles pousses reposent sur un fondateur - ou une équipe - passionné, décidé à changer le monde. »
Retrouvez des produits de beauté pour booster l'éclat du visage
Les produits de beauté pour booster l'éclat du visage Voir le diaporama10 photosNicolas Gerlier (39 ans), La Bouche Rouge, des rouges à lèvres antigaspillage
Ce Parisien au CV modèle - double formation finance et histoire de l’art, direction marketing de Lancôme et Armani chez L’Oréal - décide il y a deux ans et demi de claquer la porte et de mettre toutes ses économies dans une entreprise qu’il échafaude depuis longtemps : appliquer au maquillage un procédé industriel (qu’il garde secret) issu de la pharmacie, capable de fabriquer des formules en petite série, sans gaspillage. Aujourd’hui des rouges à lèvres mais pourquoi pas, bientôt, des fonds de teint ou des parfums… Premier projet cosmétique incubé au sein de Station F, accueilli dans le laboratoire de LVMH, La Bouche Rouge, cofondée avec le directeur artistique Ezra Petronio, séduit immédiatement son monde : le top Anja Rubik lui prête son image, la make up artiste Wendy Rowe crée ses couleurs, Le Bon Marché lui alloue un espace… Derrière la carte postale glamour, les problèmes d’eau (pour un rouge acheté, 100 litres d’eau potable « reversés » à une association en faveur des enfants dans la région de Kemerida au Togo) et le septième continent de plastique.
Gerlier veut redonner du sens à une industrie parmi les plus polluantes et prouver que la beauté, comme la mode et l’alimentation, peut se consommer autrement. « Un milliard de tubes de rouges par an dans le monde sont achetés donc jetés. Imaginez la catastrophe écologique, en plus de la pollution liée à la fabrication en amont. J’ai travaillé dix ans dans la cosmétique, je vois bien comment elle fonctionne : à l’ancienne. Au-delà du profit, on ne peut plus de nos jours réfléchir comme sous les Trente Glorieuses. La qualité doit remplacer la quantité. Avec La Bouche Rouge, je voulais créer le désir d’acheter moins pour acheter mieux. » Le succès de ses teintes sur mesure (on peut vous reproduire n’importe quelle couleur), aux étuis rechargeables, conçus sans plastique (dans le Morbihan) et revêtus d’un cuir traité dans l’une des plus vieilles tanneries de France, fait déjà réfléchir les grands noms du luxe.
www.laboucherougeparis.fr
En vidéo, comment exfolier sa peau en douceur
Judith Levy et Juliette Couturier, (27 ans), Même, des cosmétiques pour les malades du cancer
C’est une success story qui commence par une tragédie : à 19 ans, Judith Levy perd sa mère, atteinte d’un cancer du sein. Quelques années plus tard elle rencontre Juliette Couturier (photo d'ouverture) lors d’un stage chez L’Oréal. Même âge, même histoire, même envie d’entreprendre : complémentaires, l’ancienne étudiante en design industriel et l’ex-Sciences Po et HEC créent la première marque de produits de beauté destinée aux femmes sous traitement anticancéreux. « Dans les pharmacies où j’allais pour ma maman, il y avait pléthore de crèmes contre les rides et les rougeurs, mais rien pour les peaux abîmées par les traitements ou contre le syndrome mains-pieds. Or, on sait que la reconquête de la féminité, qui permet d’être plus fort psychologiquement pour se battre contre la maladie, passe par là, explique Judith Levy. Nous pensions développer notre gamme en un an, nous avons mis presque deux ans et demi : la partie formulation notamment, entre la réglementation et les tests cliniques, a été longue. »
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Dans leurs jolis étuis, avec des intitulés positifs, la brume pour le cuir chevelu irrité par le port de perruque, les gants et les chaussons pour les mains et les pieds fragilisés par le traitement, l’huile lavante pour la douche, touchent d’emblée les patientes, leurs proches, les pharmaciens qui les appellent, en direct, pour les distribuer. Leur blog, démarré dès le début du projet, a assuré la communication. Logiquement, le groupe pharmaceutique Pierre Fabre, qui possède les dermocosmétiques Avène, approche les fondatrices de Même en 2017 et leur propose de les faire grandir grâce à ses équipes commerciales et son réseau de visiteurs médicaux avant, un peu plus tard, de prendre une participation (minoritaire).
www.memecosmetics.fr
Maxime Garcia-Janin, (28 ans), Sillages Paris, des parfums développés par algorithme
Maxime Garcia-Janin était chef de produit marketing chez L’Oréal (Armani) avant de lancer, en 2016, sa start-up sur un postulat : « Les 20-35 ans n’achètent plus de parfum car ils sont frustrés qu’on leur propose des jus trop chers et/ou standardisés. 3,5 millions de Français ont cessé d’acheter, ces cinq dernières années, leur flacon dans une chaîne de beauté classique. » Sous l’incubateur HEC de Station F, il développe un algorithme validé par des nez, qui permet à chacun de composer, sur Internet, sa fragrance personnalisée. Le flacon arrive à domicile, avec un testeur. Il ne vous plaît pas ? Vous le renvoyez et vous êtes 100 % remboursé.
« Le digital n’est pas un prétexte, il nous a permis de réinventer totalement le modèle. Nous communiquons directement et constamment avec nos clients, nous n’avons besoin ni d’égérie, ni de plan média, ni de distributeur : tout notre argent se trouve dans les jus. Nous vendons 83 € une formule qu’une marque classique serait “obligée” de facturer 210 €. Les gens réclament un format 15 ml ou une note particulière ? Nous les leur proposons quelques semaines plus tard. Tout va très vite, très loin. » Sillages Paris ouvrira bientôt son laboratoire au grand public ainsi qu’un pop-up store au Bon Marché. Et, ironie de l’histoire, a été sélectionné par Bold, le fonds d’investissement de L’Oréal, pour recevoir la première participation (là encore, très minoritaire) du géant français.
www.sillagesparis.com
Mathilde Lacombe (31 ans), Aime, des compléments alimentaires sur Instagram
Enfant, Mathilde Lacombe ne se rêvait pas femme d’affaires mais rédactrice en chef du magazine Elle. « Après des études littéraires, j’y ai fait un stage et j’ai même publié quelques articles !, se rappelle-t-elle. Mais très vite, j’ai eu l’idée de Jolie Box et j’ai dû faire un choix. » Elle n’a que 23 ans quand, en 2011, elle monte sa petite entreprise de coffrets beauté vendus en ligne, très vite rachetée par l’américain Birchbox. Parallèlement, elle anime son blog « La vie en blonde ». L’an dernier, elle fonde Aime, une marque de compléments alimentaires visionnaire en France : la jeune Rémoise est persuadée que l’avenir de la cosmétique tient dans une approche plus holistique.
Avec l’aide de François Morrier, un de ses partenaires de l’aventure Jolie Box, elle investit ses deniers personnels et s’entoure de business angels anonymes. Ce qui fait toute la différence ? Une communauté de 107.000 abonnés sur Instagram. « Sans eux, Aime n’aurait jamais vu le jour. Contrairement à une start-up traditionnelle, je n’ai pas eu besoin de faire une étude de marché. Je savais que cette audience pouvait potentiellement s’y intéresser. Aujourd’hui, leurs commentaires et leurs recommandations sont des sources d’inspiration pour imaginer des produits qui collent à leurs attentes. » Pour le moment, trois cocktails de gélules à base de plantes, de vitamines et de probiotiques (« parce que quand l’intestin va, tout va ») formulés par la micronutritionniste Valérie Espinasse pour restaurer l’éclat de la peau de l’intérieur.
www.aime.co
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Marc Briant-Terlet et Kim Mazzilli (32 et 33 ans), Horace, des soins pour hommes sans clichés
Avant de créer Horace en 2016, Marc Briant-Terlet travaillait au département marketing de Vans à Paris alors que Kim Mazzilli était analyste d’affaires pour le Cirque du Soleil. « Nous étions deux utilisateurs avec le même constat, raconte M. Briant-Terlet. Nous ne trouvions rien sur le marché hormis des marques green aux prix exorbitants ou des prix accessibles mais des formules bas de gamme. » Les deux Français investissent toutes leurs économies dans le développement de leurs premiers soins, un nettoyant visage et un hydratant matifiant 100 % naturel. Un an après, ils organisent leur première levée de fonds auprès de business angels, eux aussi, hors du sérail de la cosmétique.
« Bizarrement, nous avons bénéficié d’oreilles plus attentives chez les gens de la mode, qui avaient déjà observé le changement de mentalité des hommes dans leur vestiaire. » Ainsi, une nouvelle génération ne se cache plus pour faire du shopping et s’appliquer des crèmes… sans être pour autant des femmes comme les autres. Il faut leur parler différemment, sortir des stéréotypes. Ce qu’a bien compris le duo : « Nous avons recruté deux personnes à plein temps pour répondre aux questions sur l’e-shop via un tchat ou sur les réseaux sociaux. » Ils gèrent près de 300 conversations par jour et un webzine destiné à désamorcer pas mal d’a priori à travers des conseils pratiques et des décryptages. Une expérience de vente « pour les mecs et avec eux » transposée l’an dernier dans deux pop-up stores à Paris, avant d’ouvrir une boutique prochainement. « Parce que nos clients nous la réclament. »
www.horace.co