Soja - Consommation à surveiller - Enquête - UFC-Que Choisir
© Clémence MonotConsommation à surveiller
Publié le :23/05/2019 Partager sur FacebookPartager sur Twitter>Aujourd’hui, le soja s’invite de plus en plus dans nos assiettes. Or, il contient des molécules actives sur le plan hormonal, les isoflavones, dont l’innocuité reste à prouver. Régulateurs hormonaux aux effets bénéfiques pour les uns, perturbateurs endocriniens potentiellement dangereux pour les autres, ces composés suscitent un vif débat entre une filière agroalimentaire au discours globalement rassurant et des chercheurs inquiets de leurs conséquences pour la santé. Que Choisir fait le point.
YouTube conditionne la lecture de ses vidéos au dépôt de traceurs pour mieux cibler la publicité selon votre navigation. En cliquant sur « Autoriser » les traceurs seront déposés et vous pourrez visualiser la vidéo.→ Test Que Choisir : Comparatif Préparations à base de sojaGraines apéritives, boissons végétales, tofus… Le soja n’est plus cantonné aux magasins bio et fleurit désormais dans les rayons des supermarchés. Finis, les carrés blancs tout mous et les jus insipides ! Déclinée à toutes les sauces, la petite graine qui monte séduit aujourd’hui un large public soucieux de limiter sa consommation de viande, tant pour sa santé que pour celle de la planète. Selon Sojaxa, association pour la promotion des aliments au soja, 6 Français sur 10 déclaraient en 2017 avoir mangé des produits en contenant, soit une hausse de 49 % en trois ans. Et un quart de ces acheteurs, parfois surnommés « flexitariens », ont même l’intention d’augmenter leur consommation d’ici 2020.
Car le soja a une image globalement positive. Mais si ses atouts nutritionnels sont bien réels, l’activité hormonale des isoflavones qu’il contient naturellement ne peut être ignorée. Dans l’attente de la définition d’une valeur toxicologique de référence (VTR) officielle et au nom du principe de précaution, sa consommation devrait donc être limitée le plus possible.
Côté fabricants, on se veut rassurant : la part du soja dans l’alimentation des Français serait loin de les exposer à des doses préoccupantes d’isoflavones, molécules d’ailleurs non réglementées. « Dans le cadre d’une alimentation diversifiée, cet apport excède rarement un produit par jour, ce qui ne permet généralement pas d’atteindre la limite d’exposition fixée par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation) en 2005 », estime Gwenaëlle Joubrel, conseillère scientifique de Sojaxa. Soit un seuil de 1 mg d’isoflavones par kilo de poids corporel par jour (60 mg pour un adulte de 60 kg, par exemple). Un argument repris par la plupart des producteurs lors de nos échanges. Pourtant, plusieurs limites à ce raisonnement existent.
Une valeur limite de portée… limitée
Cette valeur seuil, proposée par l’Anses il y a 14 ans, ne peut être considérée comme une valeur toxicologique de référence, de l’aveu même de l’Agence, interrogée sur le sujet par Que Choisir : « [Nos] derniers travaux sur les isoflavones datent de l’Étude de l’alimentation totale (EAT) infantile de 2016. […] Dans ce contexte, la précédente limite maximale de 1 mg/kg/jour retenue pour l’ensemble des aglycones, des isoflavones et des coumestanes (différentes formes possibles de phytoestrogènes, ndlr) ne semblait plus suffisamment protectrice. » C’est pourquoi, faute de valeurs toxicologiques officielles, les limites d’exposition, que nous estimons admissibles et sur lesquelles nous appuyons notre évaluation, notamment basées sur des travaux sur modèle animal récents, sont plus basses que celles fixées par l’Anses en 2005. Ainsi, dans notre tableau, pour un adulte, un produit dont une portion fournit au moins 33 mg d’isoflavones obtientet, pour un enfant, un aliment apportant au moins 17 mg d’isoflavones écope de .
Les résultats de nos analyses sur une cinquantaine de produits sont édifiants. Ainsi, 100 g de tofu nature de Céréal bio correspondent à deux fois l’apport maximal en isoflavones que nous jugeons acceptable pour un enfant, tandis qu’une tasse (25 cl) de jus de soja de la même marque équivaut à trois fois l’apport maximal pour un enfant et à une fois et demie pour un adulte. Enfin, le « yaourt » végétal Nature soja d’Alpro représente une fois et demie l’apport maximal pour un enfant et suffit à couvrir 75 % de celui d’un adulte.
La consommation d’isoflavones peut donc vite grimper, même avec un seul produit par jour. Mais également via des préparations comportant du soja « caché », en particulier chez les jeunes consommateurs (voir infographie). À titre d’exemple, une portion de Mini boulettes au bœuf d’Auchan fournit 68 % de l’apport maximal admissible pour un enfant. Or, dans ce produit, le soja n’est pas mis en avant sur l’emballage. Au contraire, c’est une source de protéines à bas coût intégrée dans une recette qui mise sur la viande qu’elle contient.
On notera, enfin, un grand écart de concentration en isoflavones entre les différentes familles de produits au soja disponibles sur le marché. Notre test montre que les plus gros vecteurs d’isoflavones sont de loin les apéritifs à croquer : un petit sachet (28 à 43 g selon les marques) apporte de 52,82 mg à 108,44 mg d’isoflavones. On passe presque du double au quadruple de l’exposition considérée comme critique pour un adulte ! L’explication tient à la production de ces graines toastées : elles subissent une déshydratation concentrant leur teneur en isoflavones. Les boissons végétales, plus consommées, ne font guère mieux. En effet, l’équivalent d’un grand verre (25 cl) apporte entre 7,9 mg et 30,8 mg d’isoflavones (soit, dans notre tableau, une évaluation deàpour les adultes et deàpour les enfants). Là encore, leur procédé de fabrication ne permet pas de filtrer les isoflavones.
Maîtriser les procédés de fabrication
Pour autant, les produits à base de soja n’exposent pas tous à une quantité importante d’isoflavones : celle-ci pourrait être limitée par la maîtrise des processus de fabrication. Des travaux, menés notamment par le professeur Catherine Bennetau-Pelissero qui a étudié leur fabrication traditionnelle, ont montré que les préparations solides à base de soja, telles que le tempeh ou le tofu, étaient obtenues jadis par de longues phases de trempage et d’élimination de la première eau de cuisson. Une technique qui permettrait de réduire la teneur en isoflavones du soja, qui diffusent dans l’eau. Or, depuis les années 1960, les process industriels réduisent sensiblement ces étapes. « Les produits conçus de nos jours contiennent bien plus d’isoflavones que par le passé », affirme la chercheuse.
Mais ce n’est pas une fatalité selon certains fabricants. À l’instar de MCÖ Production, qui élabore dans le Maine-et-Loire des produits traiteur à base de protéines de soja texturées (notamment pour les cantines de la région nantaise) et travaille à en réduire la teneur en isoflavones. Cet argument ne laisserait pas l’industrie agroalimentaire insensible, malgré son manque d’engouement officiel pour le sujet. « Nous sommes en discussion avancée avec des groupes de la grande distribution pour vendre nos produits en marque de distributeur et en marque propre, explique Gildas Conan, l’un des fondateurs de la start-up. Ils sont sensibles au fait que les perturbateurs endocriniens et, par la force des choses, les phytoestrogènes inquiètent les consommateurs. Mais changer leurs process de fabrication implique un vrai coût. Ils sont donc ravis que nous leur apportions une solution clé en main. »
Réduire l’exposition fortuite à ces substances est une priorité. Impossible, hélas, aujourd’hui, pour le consommateur, de savoir à quel produit se vouer pour la limiter en l’absence d’étiquetage indiquant la teneur en isoflavones, comme le préconisait pourtant l’Anses dès 2005. Gageons que les industriels auront tôt fait de s’emparer de la question en cessant de se cacher derrière leurs petits pois… de soja.
Votre exposition aux isoflavones selon votre profil
Le soja à toutes les sauces
Lait de soja ou tonyu : les graines de soja sont cuites puis broyées dans l’eau de cuisson qui est filtrée afin d’éliminer les débris de broyage. De couleur blanche, ce jus est consommé en boisson ou sert à préparer des sauces et des desserts « lactés ».
Yaourt de soja : il s’obtient par l’ajout de ferments lactiques au lait de soja.
Tofu : il est fabriqué à partir de lait de soja caillé grâce au nigari (chlorure de magnésium). Une fois égoutté et pressé, il donne une sorte de fromage de goût neutre, tendre (tofu « soyeux ») ou ferme.
Flocons de soja (ou protéines de soja texturées) : il s’agit de graines de soja pressées dont on a extrait l’huile. Elles sont ensuite extrudées grâce à une vis sans fin. Elles sont notamment utilisées afin d’augmenter à moindre coût la teneur en protéines de certaines recettes (boulettes de viande, hachés…).
Sauce soja : cette sauce épicée est élaborée par fermentation de graines de soja cuites broyées auxquelles peuvent être ajoutés divers ingrédients comme du riz fermenté.
Miso : cette pâte au goût prononcé est fabriquée à partir de graines de soja écrasées, mélangées à du koji, une préparation fermentée à base de céréales (orge, blé ou riz…), de champignon Aspergillus oryzae et d’eau.
→ Test Que Choisir : Comparatif Préparations à base de sojaMarie-Noëlle Delaby
Contacter l’auteur(e)Cécile Lelasseux
Rédactrice technique