Le tweed écossais a le vent en poupe | La Presse
(Ile de Lewis) Dans son petit atelier encombré de sacs de tissus, bobines et outils, Ian Mackay tisse patiemment une laine d’un vert éclatant. Une fois terminé, le tweed fabriqué chez lui, dans l’archipel écossais des Hébrides, sera peut-être expédié à l’autre bout du monde.
Pour l’instant, ce tisserand de 51 ans pédale pour actionner la machine à tisser dans un cliquetis régulier, guettant d’éventuels défauts.
« C’est tissé à la main… Enfin comme vous voyez, c’est plutôt tissé avec les pieds », plaisante-t-il d’une voix marquée par un fort accent des Hébrides.
Le quinquagénaire file la laine dix heures par jour, ne s’accordant une pause que le dimanche, jour sacré dans cet archipel écossais de quelque 26 000 habitants baigné dans la religion chrétienne.
« Cela ne sert à rien d’être très rapide et de faire des erreurs. Il vaut mieux faire un travail lent et de qualité », suggère-t-il.
« Peu importe le mauvais temps quand vous tissez », fait-il aussi remarquer tandis qu’au-dehors un vent glacial fouette la lande aux reflets ocre où paissent des moutons.
Originaire d’Écosse et commercialisé depuis les années 1840, le tweed a plus que jamais le vent en poupe : son côté écologique et durable inspire des créateurs soucieux de se montrer plus respectueux de l’environnement.
Fabriqué de manière traditionnelle avec 100 % de pure laine vierge de mouton, le Harris tweed est le seul tissu protégé par une loi du Parlement britannique de 1993. Celle-ci stipule qu’il doit être « tissé à la main par les insulaires chez eux, dans les Hébrides extérieures […], à partir de pure laine vierge teinte et filée dans les Hébrides extérieures ».
Apposé sur chaque pièce, un logo composé d’un globe surmonté d’une croix certifie la provenance et l’authenticité de ce tissu.
Écologique et durable
S’il est à l’origine associé à l’aristocratie et aux gentlemen-farmers qui prisaient son caractère résistant aux intempéries, idéal pour une partie de chasse ou de pêche, la créatrice britannique Vivienne Westwood a depuis longtemps détourné cette image en l’intégrant au vestiaire punk.
Comme elle, d’autres grandes marques en font un élément clé de leurs collections.
« Nous avons la chance de travailler avec les maisons de couture les plus prestigieuses au monde […] comme Chanel, Dior, Yves Saint Laurent, Hermès », cite Margaret Macleod, directrice des ventes de Harris Tweed Hebrides. « Récemment, nous avons beaucoup travaillé avec Polo Ralph Lauren aux États-Unis », ajoute-t-elle en faisant visiter l’usine de l’entreprise, située au bord d’un lac, à Shawbost, dans l’ouest de l’île de Lewis.
Soixante-dix personnes travaillent dans cette fabrique de tweed. La laine y est teinte et filée puis envoyée à quelque 120 tisserands à domicile. Une fois le tweed tissé, il retournera à l’usine pour être lavé, séché et subir les dernières finitions.
Un tiers de la production de l’usine de Shawbost part au Royaume-Uni tandis que deux tiers sont exportés aux quatre coins du monde.
« Nous exportons intensément vers la France, l’Allemagne, l’Italie et beaucoup d’autres pays d’Europe. Nous avons également de fortes activités d’exportation en Corée du Sud, au Japon et aux États-Unis, et la Chine est également devenue un nouveau marché », énumère la directrice des ventes.
De Chanel à Nike
Au total, quelque 160 tisserands à domicile vivent dans les Hébrides, travaillant main dans la main avec trois fabriques qui produisent au total 1,5 million de mètres par an.
Le tweed est utilisé dans la fabrication de vestes, pantalons, manteaux, mais aussi de chaussures, sacs à main, fauteuils ou même ours en peluche.
Il y a une quinzaine d’années, la marque de sportswear Nike avait choisi le Harris tweed pour une collection de « trainers », un énorme coup de publicité pour les artisans des Hébrides.
Plus récemment, le public l’a redécouvert à la faveur de séries télévisées très populaires : des aristocrates de Downton Abbey aux gangsters de Peaky Blinders en passant par la famille royale dans The Crown, tout le monde porte du tweed qui se décline en dizaines de motifs (carreaux, chevrons, pied-de-poule, etc.) et de teintes différentes.
Vert mousse, indigo, rouge cerise, jonquille… « Nous commençons avec environ 60 couleurs et nous mélangeons chacune de ces couleurs pour créer plus de 180 nuances de fil différentes », décrit Margaret Macleod.
Un éventail de couleurs inspiré par le paysage de ces îles reculées, des bruns dorés de la lande au bleu de l’océan Atlantique.
Selon Mme Macleod, les stylistes sont attirés par les « couleurs » et « l’authenticité », et « ils veulent aussi capturer un petit bout des Hébrides extérieures ».