Sandrine Rousseau : "Le combat mené par les femmes est le seul qui n’ait jamais tué personne"
Économiste, enseignante, chercheuse, militante écologiste, femme politique, mère de 3 enfants : Sandrine Rousseau a créé la surprise en arrivant deuxième de la primaire écologiste derrière Yannick Jadot. Ce mardi 28 septembre, c'est finalement la ligne "réaliste" de l'eurodéputé qui l'emporte avec 51,03% des voix exprimées, pour représenter le parti Europe Écologie Les Verts (EELV) à la présidentielle 2022. Le 19 septembre, celle qui se présentait pour la première fois pour représenter son parti s'était qualifiée pour le second tour avec un résultat très proche (25,14%) du favori (27,7% des voix). Les deux candidats ou deux visions de l'écologie : la radicalité pour la première, le rassemblement pour le second. Entretien avec l'une des trois femmes, avec Valérie Pécresse et Anne Hidalgo, à viser la présidence de la République.
Madame Figaro. - Votre programme commence par votre projet de «radicalité environnementale». Votre adversaire, Yannick Jadot, a par ailleurs qualifié cette radicalité de «clivante» et y oppose son projet de rassemblement. Réalisez-vous que vous faites peur ?Sandrine Rousseau.- «Radical» vient du mot «racine», et le projet que je porte entend précisément aller à la racine des choses, de ce qui dysfonctionne dans le monde et en France. Mon projet politique est de réveiller les consciences quant à l’urgence d’agir. Ce mot choque car aucun homme ni aucune femme politique ne s’est revendiqué de la radicalité jusqu’à présent. Je reconnais qu’il peut faire peur, mais nous devrions plutôt avoir peur de ce qui va arriver si nous n’agissons pas. Nous, humains de ce siècle, nous trouvons dans un moment historique. Si nous voulons être responsables face au défi environnemental et au réchauffement climatique, il va falloir se sortir les mains des poches et faire plus que des petits ajustements. Il ne suffit plus de couper l’eau pendant qu’on se brosse les dents. Et il ne suffit plus, pour les candidats aux élections, de lister des mesures écologiques et de comparer celui ou celle qui en propose le plus.
Votre militantisme écologiste est-il arrivé avant le militantisme féministe ? Comment se sont joints les deux ?Je suis rentrée dans le militantisme par l’écologie, et je m’y suis exclusivement consacrée pendant longtemps. Mais mon histoire personnelle m’a toujours liée au féminisme. D'abord, je suis née un 8 mars, dans une famille où il n’y avait que des garçons, et cela m’a construite énormément, très profondément. Aussi, l’affaire Baupin m'a fait beaucoup réfléchir sur le sujet des femmes, c'est ce cheminement intellectuel qui m’a amenée à l’écoféminisme (la conjonction des pensées féministes et écologiques, NDLR). Tout est devenu clair quand j’ai posé le mot «prédation». C’est ce qui définit notre société, tant dans notre rapport à l’environnement, que l’on ne considère que comme une source de profit, que dans notre rapport aux femmes. Au XIXe siècle, on les regardait d’abord à travers leur fonction reproductive, aujourd’hui on les voit comme des corps à prendre. La prédation est au cœur de notre organisation sociale et économique. Si l’on veut transformer notre société, il faut s’attaquer à la racine du problème, et on en revient encore à la radicalité.
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Etes-vous radicalement féministe ?Le mot sonne différemment lorsqu’il est associé au féminisme que lorsqu’il est accolé à l’écologie. Il renvoie à l’idée d’être anti-hommes, ce que je ne suis pas. Ce que je veux, c’est l’égalité et le respect. Ce que je dis est perçu comme radical, mais c’est la base. Il y a une peur irrationnelle autour du combat mené par les femmes, alors que c’est le seul qui n’ait jamais tué personne.
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— jo Sun Apr 13 13:11:28 +0000 2014
Quelles mesures écoféministes allez-vous prendre si vous êtes élue ?L’écoféminisme est la philosophie de mon projet, elle se retrouve dans toutes les mesures que je porte. Réformer le temps de travail pour avoir plus de temps pour soi, protéger les plus précaires, lutter contre les violences, donner un statut à la nature… Toutes mènent à sortir de la prédation.
Après l’affaire Baupin, vous avez quitté le parti EELV pour vous consacrer à votre association En parler, dédiée aux femmes victimes de violences sexuelles. Pourquoi être revenue en politique ?Je ne savais pas quand ni comment je retournerai en politique un jour. Cela s’est imposé à moi quand Gérald Darmanin a été nommé ministre de l’Intérieur. Lorsqu'on a interrogé Emmanuel Macron sur ce choix, et qu’il a répondu en parlant de «confiance d'homme à homme», cela m’a choquée. Je me suis dit que nous n’étions pas comprises, pas entendues, et qu’il fallait y retourner. Pour renverser la structure du pouvoir. Je ne sais pas si je passerai le cap ce mardi, mais même si j’échoue, quelque chose va naître de ce qui se passe en ce moment.
Vous avez dit que notre société passe son temps à «prendre, utiliser et jeter le corps des femmes, des plus précaires et des racisés». Cette phrase a fait beaucoup parler, et a choqué...Cette phrase rejoint ce que je disais sur notre société de prédation. Les personnes racisées en font aussi les frais. Le corps des personnes africaines et indochinoises ont été des outils dans la naissance de notre système économique. Concernant le corps des femmes, il n’y a qu’à voir comment, au plus fort de la crise du Covid, ce sont elles qui étaient majoritairement en première ligne, à prendre soin des autres, tout en étant les plus mal payées. Ce sont encore en large majorité les femmes qui sont concernées par les contrats précaires et les salaires les plus bas. Or on a bien vu que d’une certaine manière, c’est grâce à elles que le pays tient. On prend leur travail, on les utilise, on les essore et on les jette. Elles ressortent avec des retraites minables, sans n'être jamais valorisées dans la société. Quand j’ai prononcé cette phrase, je pensais aussi bien sûr aux violences sexuelles. Quand on viole une femme, on utilise son corps et on le jette.
Vous vous dites «éco-anxieuse», et l’un des quatre axes majeurs de votre programme est dédié aux générations futures. Comment le fait d’être mère de 3 enfants influence cette préoccupation pour l’avenir ? Mes enfants ont entre 16 et 22 ans et je ne sais pas dans quel monde ils vivront dans trente ans. Comme n’importe quel parent, je les ai élevés avec beaucoup d’amour, en essayant de les armer pour la vie. Mais j’ai beau essayer de les protéger de tout, le danger essentiel et fondamental est écologique. Je suis disposée à diminuer mon confort de vie au quotidien pour garantir un monde meilleur à mes enfants, et je pense que c’est la grande question qui se pose aux membres de ma génération. Nous et nos parents avons profité de ce système économique, qui a eu une utilité pendant un moment mais qu’il nous faut désormais changer. Aura-t-on le courage de faire ce qu’il faut, même si c’est inconfortable ? On néglige beaucoup l’éco-anxiété, mais énormément de gens sont inquiets concernant l’avenir, et très peu de représentants politiques osent dire qu’ils sont anxieux. En politique, on valorise plutôt l’absence d’émotions, mise à part la colère. Moi je n’ai pas de problème à dire que je suis éco-anxieuse. Cela pose une réalité et explique pourquoi je mène ce combat.
En vidéo, l'impact écologique de l'industrie textile
Vous avez également revendiqué votre appartenance à l’idéologie «woke». Dans quelle mesure ? Je ne l’ai pas revendiqué, on m’a collé cette étiquette. Je ne connais pas très bien cette idéologie, je l’ai découverte lorsqu’on m’a qualifiée de «woke». J’ai compris que cela signifiait être éveillée aux injustices. Dans ce cas, nous devrions tous l’être. Ce qui me fascine, c’est que pour décrédibiliser ce que je porte, on me renvoie à un terme supposé faire peur. C’est une manière de ne pas entendre ce que je dis.
"Le seul scénario possible"
Avez-vous toujours su que vous étiez une militante ? Est-ce que c’est quelque chose que l’on ressent déjà enfant ? J’ai commencé à militer assez tardivement. J’étais étudiante en master 1 la première fois que j’ai intégré une organisation militante. Mais lorsque j’étais enfant, déjà, on me disait que j’étais impertinente. C’est drôle car ce mot revient aujourd’hui lorsqu’on parle de moi.
Une femme présidente de la République, féministe et écolo, est-ce vraiment un scénario possible aujourd’hui en France ?C’est le seul scénario possible dans le paysage de la gauche et de l’écologie. Il faut renouveler et moderniser tout ça. Parmi les gens qui m’ont rejoint, une large partie n’allaient plus voter, car les gens de gauche et les écolos s’abstiennent. On rêve d’agir mais on est tétanisés à l’idée de ne pas réussir à le faire. Il est très possible de gagner.