Lait reconstitué: un traceur pour détecter les fraudes - Medias24
Ce jeudi 28 février, le projet de décret N° 2-18-709 modifiant et complétant le décret N° 2-00-425 relatif au contrôle de la production et de la commercialisation du lait et produits laitiers sera discuté en Conseil du gouvernement.
Ce décret est une réponse des autorités de tutelle à une polémique survenue suite à une enquête de Médias24 qui a révélé en juin 2018, alors que la campagne de boycott de produits laitiers battait son plein, que les opérateurs du secteur étaient soupçonnés d’utiliser la poudre de lait pour fabriquer du lait reconstitué, qu’ils vendaient en tant que lait frais.
Une pratique interdite par la loi, qui s’est répandue et même accentuée pendant la période de boycott par les opérateurs pour gagner des parts de marché.
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Médias24 a obtenu une copie du projet de décret. Les modifications ont toutes trait à la poudre de lait et la précision explicite de l’interdiction de son utilisation dans la fabrication de lait stérilisé.
Le nouveau décret précise certaines définitions contenues dans l’ancien texte et en ajoute une nouvelle. Ainsi, la définition du lait reconstitué a été légèrement retouchée.
Voilà l’ancienne définition : Lait reconstitué : le produit obtenu par addition d’eau à la poudre de lait dans la proportion nécessaire pour rétablir le rapport spécifié eau / solides laitiers ;
La nouvelle formulation est la suivante :
Lait reconstitué : le produit obtenu par addition d’eau au lait en poudre dans la proportion nécessaire pour rétablir le rapport spécifié eau / solides laitiers.
A cela, le législateur ajoute une nouvelle définition, celle des préparations laitières inexistante dans le décret actuellement en vigueur.
Préparations laitières : produits issus du mélange de composants naturels du lait obtenus par séchage tels que le lactosérum en poudre, le perméat de lactosérum en poudre ou la caséine en poudre.
L’autre article qui a subi d’importantes modifications dans le nouveau décret est l’article 9 relatif à l’interdiction de la fabrication de lait reconstitué.
Dans sa formulation actuelle, le texte est assez vague. Il dispose que « la fabrication des laits reconstitués stérilisés et/ou stérilisés UHT, n’est autorisée que dans les conditions qui seront fixées par arrêté du ministre chargé de l’agriculture ».
Le nouveau décret précise davantage cet aspect en ajoutant un détail très important, un traceur qui permet de détecter le lait reconstitué à savoir l’amidon.
Jusque-là, il est très difficile pour les autorités d’apporter des preuves irréfutables attestant de la substitution au lait frais par un lait reconstitué comme nous l’avions expliqué dans de précédents articles.
«Le contrôle du produit fini (pour détecter l’utilisation de poudre de lait) est scientifiquement difficile», nous expliquait en juin 2018 une source au fait des normes sanitaires.
Pour détecter cette fraude, l’ONSSA recourt à l’audit des registres des opérateurs du secteur pour faire un rapprochement entre les chiffres de la collecte (combien de lait collecté, quand, où et de chez qui) avec les volumes vendus. Les écarts trouvés supposent l’utilisation du lait en poudre.
L’autre moyen, tout aussi incertain, est l’analyse des taux protéique et de matières grasses. Ces deux composantes sont à des teneurs plus faible dans le lait reconstitué en comparaison avec le lait frais.
«Il faut retrouver la marque des traceurs de poudre dans le lait et toutes les poudres ne disposent pas de traceurs. Il n’y a pas de protocole normé», nous assurait notre source en 2018.
Ce sera désormais chose faite, si le projet de décret est adopté en l’état.
« Seul le lait en poudre et les préparations laitières additionnés de l’amidon soluble à la dose de cinq (05) grammes pour milles grammes (1000) de poudre peuvent être utilisés par les établissements et entreprises de fabrication de laits traités et produits laitiers », est-il précisé dans le décret.
L’amidon est utilisé dans ce cas comme traceur. Cette mesure facilitera le contrôle de produit fini, car une simple analyse pour chercher de l’amidon prouvera que tel ou tel opérateur utilise du lait en poudre ou des préparations laitières dans la production du lait censé être frais.
Par ailleurs, l’exigence de l’ajout de l’amidon « ne s’applique pas aux établissement et entreprises qui fabriquent exclusivement un ou plusieurs des produits suivants :
– Le lait en poudre destiné à un consommateur final et commercialisé dans des contenants de 5 kg maximum
– Le fromage fondu
– Le fromage fondu allégé ».
Ces précisions faites, le nouvel article 9 du décret insiste sur le caractère illicite et fraudeur de la fabrication de lait reconstitué.
« N’est pas considérée comme une opération ou un traitement licite et constitue une fraude, au sens de l’article 16 de la loi n°13-83 susvisée, l’utilisation du lait en poudre ou des préparations laitières pour la fabrication de lait reconstitué ».
Le législateur se réserve le droit « d’autoriser l’utilisation du lait en poudre additionné ou non de l’amidon dans des conditions fixées par arrêté de l’autorité chargée de l’agriculture pour la fabrication des laits reconstitués stérilisées et ou stérilisé UHT, notamment pour répondre aux besoins du marché national ou aux fins d’exportation ».
Cet arrêté, le ministère de l’agriculture n’y aura recours qu’exceptionnellement pour répondre au besoin du marché. « Et même dans cette situation, le lait en poudre ne sera pas utilisé dans la production de lait frais, pratique strictement illicite dans tous les cas de figure », nous assure une source à l’ONSSA contactée à ce sujet.
Notre source insiste, dans le cadre de cet arrêté, l’utilisation du lait en poudre n’est tolérée que pour la production du lait UHT ou laits reconstitués stérilisées.
A ce niveau, il aurait été judicieux que les autorités exigent des opérateurs de préciser la nature reconstituée de ce lait sur l’emballage afin que le consommateur soit au courant que le lait acheté n’est pas du lait frais.
Par ailleurs, le ministère de l’agriculture ajoute un autre niveau de contrôle par le biais de l’article 9 bis.
Dans cet article, il est exigé « des établissements et entreprises visés à l’article 9 ci-dessus de tenir un registre relatif à l’utilisation du lait en poudre et des préparations laitières retraçant leur origine, leur utilisation et la situation des stocks détenus ».
« Ledit registre doit être coté, paraphé et mis à jour par l’exploitant de l’établissement ou l’entreprise concerné. Il doit pouvoir être consulté à tout moment par les agents habilités des services de l’ONSSA. Le modèle et le contenu du registre sus-indiqué sont fixés par arrêté du l’autorité gouvernementale chargée de l’agriculture ».
Selon nos sources, ce texte s’il est adopté en l’état, donnera enfin à l’ONSSA un moyen simple, efficace et rapide de prouver les fraudes dans ce domaine.
Et pour accompagner ces nouvelles mesures, l’ONSSA compte renforcer les contrôles inopinés afin de vérifier que ces dispositions sont respectés.