Promotion du hijab par le Conseil de l'Europe: «Non, le voile n'est pas un vêtement ordinaire !»

Promotion du hijab par le Conseil de l'Europe: «Non, le voile n'est pas un vêtement ordinaire !»

Benjamin Sire est compositeur et journaliste.


Pendant très longtemps le magazine Paris Match fut associé à son slogan, «Le poids des mots, le choc des photos». Il faut croire que le Conseil de l'Europe, par le biais de son programme visant à lutter contre la discrimination, les inégalités et l'exclusion et à renforcer l'inclusion, a décidé de s'approprier ces mots, sans chercher à en mesurer les conséquences. Ainsi, voulant, de manière louable, célébrer la diversité et la liberté religieuse, le programme en question a lancé une grande campagne sur les réseaux sociaux, à commencer par TikTok, dont les adolescents sont les plus friands, visant à promouvoir... le voile islamique à grands coups de visuels montrant des femmes sans, puis, avec le voile, ou le portant directement, le tout tantôt accompagné du fameux slogan «Mon voile, mon choix», tantôt de la phrase «La beauté est dans la diversité, comme la liberté est dans le Hijab»...

N'étant pas de celles et ceux qui combattent partout et tout le temps le port du voile, considérant que celui-ci est parfois un véritable choix personnel et spirituel, tout autant que souvent, hélas, une imposition patriarcale, une assignation à résidence identitaire ou même une affirmation politique séparatiste revendiquant la supériorité des supposées lois de Dieu sur celles des hommes, je suis pourtant tombé de ma chaise en parcourant ces visuels et vidéos.

Entre accepter, au nom de la liberté de conscience, le port, dans l'espace public, d'un signe religieux peu enclin à célébrer la liberté de la femme, et en faire une véritable promotion comme l'envisage le Conseil de l'Europe, giflant au passage les milliers de femmes qui, dans les pays aux prises avec un régime islamiste comme l'Iran (chiite), ou l'Arabie saoudite (sunnite), se battent pour pouvoir ôter le tissu imposé, il y a bien plus qu'un fossé. Et ce à plus forte raison, quelques semaines après la reprise en main totale de l'Afghanistan par les Talibans, qui n'ont pas attendu longtemps avant de prouver aux bonnes âmes qui s'interrogeaient à ce sujet que le mot «inclusif» ne fait pas partie de leur vocabulaire, n'en déplaise à Jean-Yves Le Drian qui avait naïvement envisagé la chose.

Cette campagne est d'autant plus surprenante qu'à l'exception d'un visuel, à aucun autre moment elle ne lève le coin du voile (si je puis me permettre), sur ce qu'est la diversité, pas davantage qu'elle n'explique le moyen de lutter contre les discriminations, d'autant plus que le hijab en lui-même peut être une forme de discrimination et n'est en aucun cas une pure prescription coranique, mais un marqueur politique de l'islam rigoriste. Comme le rappelle la philosophe et islamologue Razika Adnani dans un article d’Ouest France datant de février 2021 : «Ainsi, ce sont des musulmans [et non le Coran, NDLR] qui ont décidé quelle est la partie du corps de la femme qui doit être cachée et la manière dont le voile doit être porté, mais aussi quelles règles il faut suivre et celles qu'il faut abandonner.[...] Si les islamistes donnent autant d'importance au voile, c'est parce qu'il représente un indice important, car visible, de la réussite de leur mouvement. Leur stratégie consiste à habituer les femmes à le porter. Voilà pourquoi, ils veulent l'imposer également aux petites filles».

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Par ce simple énoncé, fondé sur l'étude faite par Madame Adnani (et d'autres) des sourates coraniques consacrées à cette question de textile, le supposé choix libre est consenti du port du Hijab en prend un léger coup. «Mon voile, mon choix» disent-ils donc. À ce sujet, la philosophe féministe Élisabeth Badinter s'est exprimée à plusieurs reprises, enfonçant le clou de la domination patriarcale et politique sous-tendue par ce vêtement, tout en considérant, comme moi, qu'il ne faut pas l'interdire dans l'espace public, mais bien dans tous les lieux imposant une neutralité, en conformité avec la loi de 1905.

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Ainsi dans l'émission de Raphaël Enthoven, Philosophie, paroles aux penseurs de notre temps, diffusée sur la chaîne ARTE le mois dernier, elle explique : «Je peux tout à fait comprendre que des femmes trouvent leur bonheur dans la servitude. C'est un phénomène humain.[...] Mais lorsque [ce voile] est dominant dans un quartier, il est assez difficile pour celles qui ne veulent pas le porter d'affronter cela». Ce qui sous-entend que le voile devient alors une forme de norme obligatoire pour les femmes qui veulent se libérer de la pression morale, religieuse et politique qui règne dans ces quartiers.

À cette lumière, la promotion éhontée du voile par le Conseil de l'Europe est tout à fait incompréhensible, à moins de considérer que celui-ci, de plus en plus soumis au diktat de l'ère identitaire et à diverses pressions qui, sous couvert de progressisme, ramènent l'obscurantisme sur le devant de la scène, ait décidé de mettre de l'huile sur le feu dans une période où l'Europe est soumise à la pression de populismes qui, davantage que de lutter contre l'islamisme mortifère combattent l'existence même de l'islam, aussi respectueux soit-il des règles communautaires et des lois en vigueur dans chaque pays.

Cette démarche peut aussi s'envisager comme une véritable provocation dans le contexte français, alors même que la campagne présidentielle s'amorce sous le signe hégémonique du Z, et voit, là encore, la confusion être entretenue par son camp, entre l'islamisme (politique et conquérant par essence) et l'ensemble de nos compatriotes musulmans qui ont passé des décennies à parfaitement s'accorder des lois de la République. Car c'est exactement ce que font ces visuels qui veulent imposer pour norme une vision islamiste de la religion musulmane et ne peuvent qu'encourager celles et ceux qui, peu enclin à la nuance, s'avèrent sensibles aux discours d'Éric Zemmour...

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Il en est de même d'une récente campagne de l'ONU qui, inversant toutes les valeurs, a illustré un visuel censé promouvoir l'égalité homme/femme dans le domaine de la technologie par une femme voilée, alors que, là encore, ce tissu condamne une telle égalité. Un autre graphisme de la campagne européenne ne cesse d'interroger et d'entretenir cette provocation, faisant du voile un vêtement ordinaire, comme s'il était exempt d'un quelconque bagage politique et religieux, en dressant à nouveau un parallèle indécent entre son port et, par exemple, celui de la minijupe, comme si cette dernière était imposée à qui que ce soit.

Pour comprendre la différence, même si ceux qui font mine de l'interroger ont inscrit la duplicité et l'hypocrisie à leur agenda politique, je rappellerai les propos de la courageuse militante laïque et féministe belge Nadia Geerts publiés il y a déjà 5 ans sur son blog : «Les codes vestimentaires de la séduction laissent aux femmes infiniment plus de liberté que ceux de la pudeur islamique, version ayatollahs, mollahs et autres islamofascistes. Je crois pouvoir dire que je ne connais aucune femme sacrifiant tous les jours, à chacune de ses sorties, à ces codes. [...] Certes, beaucoup de femmes ont dans leur garde-robe l'une ou l'autre pièce de vêtement évoquant davantage la bimbo que la femme moderne soucieuse de confort avant tout. Mais nous jouons toutes de ces codes, alternant jeans et mini-jupe, talons aiguilles et vieilles baskets. Sans que jamais ce jeu ne nous fasse courir le moindre risque physique : nulle police de la vertu pour nous rappeler que nous ne sommes pas assez sexy, nulle loi pour nous imposer un quelconque dress-code».

Et comme le souligne encore Nadia Geerts à propos du motif d'imposition du voile, mais également des autres vêtements féminins soumis à prescription religieuse : «Oui, pour les islamistes – comme pour les premiers chrétiens, comme pour les juifs orthodoxes – la femme est créature diabolique. Elle est la tentatrice, la pécheresse, celle par qui le mal arrive. Il faut donc à tout prix dissimuler, domestiquer, dompter ce corps objet de désir».

Il devient lassant de répéter ad nauseam ces évidences, bien que celles-ci, à l'heure du relativisme, ne semblent plus en être. Mais plus que lassant, il est carrément inquiétant de voir que même dans les plus hautes instances communautaires, ce relativisme et la confusion qu'il véhicule deviennent la norme.