On a testé les barres-repas Feed : de vrais substituts, mais l'impression de ne rien avoir mangé
Il y a deux ans, j’ai pu m’initier à la smart food, et tester la nourriture liquide de Joylent, ou "Jimmy Joy". Une poudre, mélangée à de l’eau dans un shaker, qui correspond à un repas complet, et qui permet de gagner du temps dans la journée, en ayant juste à ingérer un breuvage au goût de banane ou de chocolat. Seulement la lassitude s’est vite installée au cours de mon test : difficile de se motiver à boire uniquement une boisson au goût assez fade, quand votre corps réclame du solide, du sucré ou du salé, et que vos collègues mangent, devant vous, une entrecôte grillée avec des patates. Résultat, pour réussir à ne consommer que du Jimmy Joy (35 euros pour 5 sachets de 15 repas), le mieux est de manger seul, tout en essayant d’oublier le plaisir de manger, qui plus est en société.
Après avoir testé aussi sans succès les applis de coaching alimentaire pour maigrir, je me suis dit récemment que je pourrais tester la version "solide" de Jimmy Joy, les "Twennybars" - des barres au chocolat ou à la vanille, contenant "des protéines, des glucides, des graisses, des vitamines et des minéraux, afin que votre corps reste en bonne santé", provenant d'un mélange d'avoine, de sucre, d'huile de noix de coco et de lait en poudre, ainsi que d’un “cocktail de 27 vitamines et minéraux essentiels”. Selon Jimmy Joy, il s’agit "d’un vrai repas, pas d’une collation", qui vous permet de "gagner du temps et d’économiser de l’argent" (une Twennybar coûte 2 euros).
Je me disais que là aussi, la lassitude risquait de s’installer rapidement, au bout de la quatrième ou cinquième barre avalée, le corps n’étant cette fois-ci plus en manque de solide, mais juste en manque de variété... N’ayant pas la patience de commander et d’attendre de recevoir les Twennybars, qui m’auraient été envoyées depuis les Pays-Bas, j’ai préféré faire plus simple : ça faisait en effet plusieurs semaines que je voyais, en caisse du Monoprix du coin, près de mon boulot, des barres "Feed" - le pendant français de Jimmy Joy, en gros, qui propose également de la nourriture liquide et des substituts alimentaires déguisés en barres chocolatées.
Un "repas complet et équilibré" en barre
Vous les trouverez aussi chez Carrefour, à Intermarché, à Franprix, ou sur Internet… Oui, les barres Feed sont partout en ce moment, elles s'arrachent, et je dois dire que la tentation était grande d'essayer, pour goûter. Alors, je me suis lancé, bien décidé à tester tout ça pour CNET - en plus d’essayer de perdre un peu de poids et de remplacer des déjeuners pris sur le pouce, ou des soirées mal-bouffes à cause de ma procrastination aux fourneaux. Mais évidemment, l’irrémédiable question s’est posée, avant même que je goûte ces fameuses barres au chocolat, aux fruits rouges ou à la noix de coco : est-ce bon pour la santé, ou en tout cas sain ? Valent-elles vraiment un repas complet ? Est-ce un bon moyen de remplacer un sandwich, et même de maigrir un peu ? La frustration est-elle moindre qu’avec un repas sous forme de poudre à reconstituer ?
Déjà côté prix, il faut avouer que ces barres, destinées surtout aux jeunes actifs branchés, fauchés et/ou sportifs qui veulent gagner du temps, ne coûtent pas relativement cher, comparé à de la mal bouffe ou à un repas dans une brasserie parisienne - entre 3,50 et 4 euros selon le supermarché. Côté nutrition, Feed promet que ses produits (vegan, sans gluten et sans lactose) correspondent à un "repas complet et équilibré", contenant "100% des apports recommandés, sans aucune carence". Que demander de plus ?
Côté pratique, ces barres nutritives ont le gros avantage de tenir facilement dans une poche ou dans une sacoche, et d’être faciles et rapides à manger. Bien plus simple à transporter et à manger que la version poudre-bouteille-shaker. Côté design et saveurs, il y en a pour tous les goûts : chocolat, cranberries-chocolat, figues-amandes, noix de coco-chocolat, fruits rouges, banane-chocolat. Et ça ressemble à s’y méprendre à une barre aux céréales et aux fruits classique. Cerise sur le gâteau, le chef étoilé Thierry Marx a participé à la conception de la version "bio" et "light" de ces barres.
Un substitut de repas pratique, mais acide
Après une semaine à en avoir mangé (une ou deux, sur trois repas par jour), je dois vous confesser que la réalité est… différente. Même s’il n’y a pas que du négatif. Tout d’abord, j’insiste : il ne s’agit pas de barres hypocaloriques, destinées à aider à maigrir, ou de barres "énergétiques", mais de véritables substituts de repas, avec plein de protéines, de fibres, de vitamines et de minéraux - pour un résultat de 400 kilocalories (kcal). Quand je vous raconte que je voulais les utiliser pour perdre du poids, c’est parce que j’espérais réussir à calmer ma faim, et donc ma gourmandise, en ingérant quelque chose de consistant mais sain - en plus de coûter moins cher qu’un fast food.
D’abord, oui, ce genre de substitut de repas s’est avéré très pratique, addictif même de par sa praticité. Je gardais une ou deux barres dans mon sac, en permanence, et quand un imprévu se produisait, m’empêchant de manger posément avec mes collègues ou de faire la cuisine le soir, je n’avais plus qu’à ouvrir l’emballage, et à manger les 5 morceaux prédécoupés qui s’y trouvaient. Ensuite, je dois aussi avouer que ces barres m’ont apporté l’énergie nécessaire pour "tenir" toute une matinée, toute une après-midi, ou toute une soirée, sans aucun souci. L’impression de satiété était là, et mes envies de mal bouffe ainsi que ma gourmandise ont été étonnamment étouffées dans l’oeuf par un effet coupe-faim impressionnant. Je ne sais pas si j’aurais perdu du poids en continuant à en manger plus que 5 jours, mais en tout cas, force est de constater que cela m’a permis de ne pas manger autre chose, ou d’avoir envie d’autre chose. À noter aussi que la digestibilité est plus que correcte : je me sentais léger après chaque "repas" Feed, et je ne me souviens pas d’avoir eu de "coup de barre" ensuite.
Passons au goût, maintenant. C’est là que le bât commence à blesser. Au début, le goût proposé (cranberries-chocolat, fruits rouges, noix de coco-chocolat…) est au rendez-vous. Ce n’est ni bon, ni mauvais : ça se mange facilement, et il y a un petit côté "sucré" agréable. Mais au bout de la deuxième barre, on constate vite que ce substitut de repas, qui ressemble en réalité davantage à une pâte rectangulaire marron sans personnalité qu’à une barre chocolatée classique, est pâteux, lourd, acide, chimique. À la fin d’une barre, vous avez la gorge irritée, et mieux vaut boire beaucoup d’eau en parallèle (c’est d’ailleurs ce que recommande Feed sur son site).
Des barres pas forcément saines, voire dangereuses
En ce qui concerne l’intérêt nutritionnel de ces barres, j’ai préféré contacter une nutritionniste - le Pr Monique Romon, médecin et ancienne présidente de la Société Française de Nutrition (SFN), plus précisément. Après avoir analysé leur contenu, la spécialiste n’a pas caché son scepticisme, et même son inquiétude.
Pour info, voici la composition d'une barre Feed au chocolat, garantie "sans gluten, riche en vitamines et en minéraux" : sirop d’agave, protéines végétales (de pois, de soja, de riz), isomaltulose (un sucre lent), huile de colza, cacao "maigre" en poudre, fibres de maïs et d'acacia, sels minéraux (phosphate de calcium, carbonate de potassium, gluconate de zinc, levure séléniée, picolinate de chrome…), ainsi que les vitamines A, D3, E, C, B1, B2, PP, B5, B6, B8, B9 et B12.
Et maintenant, voici la composition d'une barre "light" au parfum mûre-chocolat : protéines végétales (de soja, de pois), chocolat noir "édulcoré" sans sucre, huile de colza, maltodextrine (un mélange de différents sucres, dérivé du maïs), des granulés de framboises, du maltilol (un édulcorant), de l'acide citrique (pour corriger l'acidité), puis les mêmes minéraux et vitamines que pour les barres-repas classiques de Feed. Au passage, on se demandera où est donc passée la mûre…
"Je suis vraiment frappée par la quantité d'ingrédients : certains minéraux et certaines vitamines ne sont ni nécessaires, ni indispensables", observe Monique Romon. Dans le détail, elle se demande ce que vient faire par exemple le picolinate de chrome - un composé chimique utilisé pour traiter le diabète de type 2 et favoriser la perte de poids - dans ce qui est présenté comme un simple substitut de repas. De même pour le sélénium (levure séléniée), un oligoélément antioxydant utilisé pour prévenir les cancers de la prostate et du poumon, pour traiter l'asthme ou pour réduire le risque de maladies cardiovasculaires. "Si on prend trop de sélénium, l'ADN peut être impacté, il peut y avoir des mutations, et paradoxalement, on peut avoir des cancers", explique la nutritionniste.
Idem pour les vitamines (A, B3, D3, E, C, B1, B2, K, PP, B5, B6, B8, B9, B12…) présentes dans ces barres : "si vous consommez trop une vitamine, cela revient au même que d'avoir une carence. Par exemple, un excès de vitamines C peut causer des pierres au rein, un excès de vitamines B3 peut entraîner des troubles du foie, et un excès de vitamines B6 peut occasionner des troubles neuro-musculaires et à terme augmenter le risque de cancer du poumon".
Ces substituts de repas étant bourrés d'additifs mais aussi de protéines, attention aussi à vos reins : "dès qu'on dépasse une certaine dose de protéines, on peut développer des insuffisances rénales", explique le médecin… qui conseille de boire beaucoup d'eau lors de l'ingestion de telles barres. Pas pour calmer la gorge face à leur acidité, mais pour éliminer les déchets métaboliques résultant de la digestion des protéines.
Enfin, le soja, probablement présent parmi les ingrédients pour coller à la mode vegan, "est totalement inutile, mais aussi dangereux pour les hommes, car il s'agit d'un perturbateur endocrinien". Bref, tout cela n'est guère rassurant. Surtout quand Monique Romon ajoute : "une femme enceinte n'a normalement pas le droit de manger cela. Mais nulle part, on ne trouve d'avertissements, d'explications. Les informations sur les apports nutritionnels conseillés (ANC) et les quantités pour chaque ingrédients sont par ailleurs assez floues, et ne sont consultables que sur le site de Feed". Dépasser les ANC peut donc être risqué, d'autant plus que "selon l'âge, vous avez des besoins différents". Autrement dit, si vous avez entre 18 et 50 ans, vous pourrez certainement consommer davantage de barres Feed qu'un senior.
Il faut toutefois savoir qu'après avoir analysé les quantités par portion pour chaque vitamine et minéraux, j'ai constaté qu'il s'agissait quasiment à chaque fois du tiers de la ration alimentaire quotidienne des apports conseillés. Donc qu'il ne faut surtout pas manger plus que 3 barres par jour. Même si vous trouvez que vous avez encore faim, et que 400 kilocalories, ce n'est pas assez pour vous. "Comment une marque peut elle prévoir que 400 kcal correspondent à un repas ? En faisant des moyennes. Ce n’est donc pas le substitut de repas idéal pour une personne en particulier mais pour une population. Et ça fait toute la différence", écrit Quentin Mayet, diététicien-nutritionniste sur son blog.
Pas un produit de régime, mais des risques de dérives
Pour Monique Romon, "mieux vaut éviter de manger uniquement cela". Mais ces barres peuvent être consommées sans problème dans le cadre d'une alimentation classique. D'ailleurs, Feed explique sur son site ne pas partager la vision “extrémiste”, qui consiste à remplacer intégralement la nourriture classique, au profit d’un produit unique". Et la marque française de rappeler (timidement) qu'il ne s'agit pas d'un "produit de régime".
Évidemment, la plupart des gens se limiteront à une barre de temps en temps, en solution de dépannage, pour remplacer un sandwich ou un pain au chocolat. Mais d'autres pourraient très bien être tentés de faire une "cure" de barres Feed, et d'en consommer à chaque repas, pendant des semaines, en particulier pour maigrir, sans forcément se le dire. Ou encore pour faire comme Charlton Heston dans le film "Soleil Vert" : avoir l'impression de manger une nourriture "du futur", pratique, à chaque repas. Dans ce genre de cas, "attention à ne pas en prendre plus de 15 jours, car au-delà, ça peut être dangereux", prévient le médecin.
Quant au pouvoir amaigrissant de ces substituts de repas, notons qu'ils sont aussi composés de sirop d'agave, et en règle générale, de sucres. "Ça ne vous fera pas maigrir en tant que tel, mais cela peut vous éviter de mal manger. Vous éviterez ainsi les cochonneries, mais si vous en mangez trop, vos barres peuvent très bien se transformer en cochonneries", note la nutritionniste, qui s'étonne que la composition de ces produitslargement commercialisés ne soit discutée nulle part et ne fasse pas l'objet d'un véritable débat. Prudence, donc…
L'impression de ne rien avoir mangé
Reste la limite "sociale" que pose la consommation de ces barres-repas - qu'il s'agisse de celles vendues par le français Feed, le néerlandais Jimmy Joy, l'anglais Huel ou encore l'autrichien Saturo. Après en avoir mangé, j'ai en fait l'impression de ne rien avoir mangé. Je n'ai plus faim et je me sens bien, certes, mais j'ai l'impression d'avoir encore faim et je suis un peu frustré, car j'ai avalé ma barre en 4 minutes top chrono. Où est, du reste, passé le plaisir de manger ? Et le côté "gourmand" d'une vraie barre de céréales ?
Même si je n'ai plus faim, mon cerveau a besoin d'avoir l'impression d'avoir mangé. Aussi, alors qu'il s'agit normalement d'un "repas complet", je me suis surpris plusieurs fois à le compléter par une banane ou un yaourt. Quitte, à un moment donné, à risquer de "craquer", en mangeant de la junk food. Côté goût, je le répète, ce n'est pas mauvais, mais c'est tout de même assez écœurant à la longue. Le sirop d'agave et les sucres ajoutés couvrent assez mal, au final, le goût chimique et acide de ces barres.
Conclusion, les barres-repas ne peuvent, et ne doivent, convenir qu'aux consommateurs en quête de praticité - des jeunes actifs "nomades" ou pressés aux sportifs à la recherche d'un bon substitut de repas, en passant par les randonneurs, les voyageurs ou les skippers… Car comme le dit si bien Monique Romon, "l'alimentation ne se résume pas à des nutriments et à une liste d'ingrédients ajoutés artificiellement : vous avez aussi besoin de ressentir du plaisir en mangeant. Et ça ne vaudra donc jamais un vrai repas."