Space age : comment la course à la Lune a influencé la mode des 60’s
L’avènement de nouveaux designers... et de tendances
Dans les années 1960, si les États-Unis et la Russie se livrent à une course effrénée à la Lune, le petit microcosme de la mode découvre lui aussi un nouveau monde. Porté par des couturiers à la vision futuriste tels que Pierre Cardin, André Courrèges ou encore Paco Rabanne, les frontières de l’univers s’élargissent également pour laisser émerger le prêt-à-porter. Lorsqu’en 1964, André Courrèges dévoile sa collection « Moon Girl », ses coupes droites ainsi que son utilisation prononcée du blanc (la couleur du futur, selon lui) placent sa mode dans une catégorie à part. Ultra-moderne et servi par des accessoires jusqu’ici jamais utilisés comme des lunettes de soleil et des chapeaux venus d’un autre âge, le look est en totale opposition à la mise yé-yé qui fait alors fureur mais aussi très loin des modèles Haute Couture classiques qui font le succès des grandes maisons. Après ce début retentissant, le designer n’aura de cesse de transformer également l’industrie en elle-même, dévoilant quelques années plus tard sa collection Couture Future, une ébauche du prêt-à-porter tel qu’on le connait encore aujourd’hui avec son automatisation de la création et sa disparition des retouches personnelles.
Mais retour au style et aux 60’s. Si Courrèges et ses bottes blanches, sa petite robe trapèze, sa mini-jupe et son blouson raccourci retiennent l’attention de l’époque, il n’est pas le seul. Tout aussi inspiré par l’espace et les nouveaux modes de vie (notamment la conquête du marché du travail par les femmes), Pierre Cardin s’attache lui aussi à les rhabiller pour l’avenir. « Moi, je suis lunaire…et réaliste, rappelait-il à “Stiletto” début 2020 alors que s’ouvrait une rétrospective en son honneur à New York. Cette double personnalité m’a beaucoup servi. Je suis obsédé par la Lune, par les cercles, la rondeur. Et je suis attiré par le cosmos.. L’infinité de l’espace est bien plus inspirante que n’importe qui. » En 1965, sa collection Cosmos, inspirée de l’astronaute Ed White, fait du bruit. Mais c’est toute son œuvre qui peut aujourd’hui éclairer une période en pleine transformation : de sa robe Bulle à ses cols roulés colorés en passant par des pantalons patte d’eph revisités grâce à des bas de jambes arrondis, la mode Cardin bouge et offre aux femmes une nouvelle manière de se présenter à un monde qui change à vitesse grand V.
Une femme réinventée
Les points communs de ces deux designers ? Leur capacité à voir plus loin que les frontières habituelles du style et leur audace à utiliser de nouvelles matières. Mais si Courrèges et Cardin osent le vinyle, le rhodoïd et le lamé, un autre grand nom des 60’s, Paco Rabanne, va encore plus loin et présente en 1966 ses « 12 robes importables en matériaux contemporains », où le métal et l’aluminium créent une armure moderne et féminine. Moqué par Coco Chanel qui le surnomme le « métallurgiste », il impose cependant son style futuriste et est d’ailleurs choisi pour habiller Jane Fonda dans « Barbarella » de Roger Vadim en 1968. Incarnant une astronaute-guerrière, l’actrice arbore brassières en côte de maille et bodys moulés pour coller à une intrigue supposée se dérouler en l’an 4000. Hasard ou non, près de trente ans plus tard, c’est Jean-Pault Gaultier, ancien disciple de Pierre Cardin, qui sera choisi par Luc Besson pour habiller les héros futuristes du « 5ème Élément ».
Quoi qu’il en soit, devenus iconiques, les costumes de Paco Rabanne témoignent alors de l’autre particularité qui lie les trois designers des 60’s : leur vision inédite de la femme. Loin des coupes alambiquées de la haute couture mais aussi loin des codes plutôt stricts encore en vigueur à cette époque, le trio oublie les manches, dévoile le haut des cuisses et laisse entrevoir diverses parties du corps grâce à des pièces ajourées de manière totalement unique. Les talons hauts sont gommés et les chapeaux deviennent des signes extérieurs de style. Une démarche féministe ? Pas tout à fait si l’on en croit Pierre Cardin qui a notamment expliqué au « WWD » : « J’étais inspiré par les satellites. Les lasers. La Lune. J’ai vu le futur. Je n’ai jamais été inspiré par le corps féminin. Mes robes sont comme des sculptures. Je les ai façonnées puis j’y ai placé une femme. C’était plus comme de l’architecture ou de l’art. »
Quant à l’héritage de ce passé futuriste ? Toujours vivace. Quarante ans avant l’an 2000 qui les faisait tant fantasmer, ces designers en ont livré une vision qui est toujours valable aujourd’hui. Il n’y a qu’à regarder du côté des dernières collections de prêt-à-porter pour retrouver certains éléments qui ont fait le style Courrèges, repris tels quels ou à peine retouchés pour coller aux tendances actuelles. En 2016 déjà, Arnaud Vaillant alors directeur artistique de la maison avec son binôme Sébastien Meyers confiait ses impressions sur la griffe au site « Ssense » : « (...) le vestiaire de Courrèges est tellement mythique, tellement symbolique, qu’on a tout de suite voulu se concentrer sur ses pièces phares – la minijupe, le blouson motard, la robe – d’ailleurs on a trouvé dans les archives des choses incroyables d’une modernité sans égal. » Même son de cloche du côté de Paco Rabanne où Julien Dossena fait réellement revivre depuis quelques saisons déjà l’esthétique féminine mais forte en caractère du fondateur.
La conquête aérospatiale, toujours aussi inspirante ?
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’espace, les aliens et une certaine vision du futur continuent à inspirer les designers contemporains. En 2017, Karl Lagerfeld a littéralement fait décoller une fusée sous la verrière du Grand Palais, sous le regard de mannequins alignés (et les yeux ébahis des invités). Plus récemment, en 2020, Olivier Rousteing dévoilait lui aussi sa vision de la space fashion à grands coups de pièces métallisées et de volumes inattendus, présentées dans un aéroport désert, pandémie oblige. Entre les deux ? Des femmes extra-terrestres chez Moschino, des créatures célestes chez Iris van Herpen mais aussi des silhouettes innovantes chez Thierry Mugler. À l’heure où l’exploration d’une potentielle vie sur Mars (ou ailleurs) et alors que le tourisme spatial est lentement mais sûrement en train de s’imposer comme une possibilité tangible, la mode aérospatiale a encore de beaux jours devant elle.