Near Dark, la première morsure de Kathryn Bigelow
Au début des années 1970, Kathryn Bigelow étudie à New York l'art contemporain à l'université de Columbia. Un soir, elle découvre La Horde sauvage dans une salle de Bleecker Street, à Manhattan.Coup de cœur. « Avant cette projection, je n'avais jamais songé à faire du cinéma », raconte la réalisatrice. « Mais avec le western de Sam Peckinpah, j'ai vu qu'il était possible d'intégrer à la fois dans un film le viscéral, le cathartique, l'intellect et la réflexion. Le faisceau du projecteur dans cette séance de nuit a marqué un changement irrévocable dans ma propre histoire. » (1)
En 1981, la grande brune tourne The Loveless, premier long-métrage, inédit en France, qu'elle cosigne avec son ami Monty Montgomery, le futur producteur de David Lynch. Sur le film, Montgomery s'occupe de la partie technique et Bigelow se charge de diriger les acteurs. Willem Dafoe, dans son premier rôle, y joue le chef d'une bande de bikers qui débarque en 1959 dans un petit village du sud des États-Unis. Une histoire de motards conçue comme une sorte d'hommage à L'Équipée sauvage (1953), avec Marlon Brando.
Dans ce western crépusculaire et peckinpahien, trois membres de cette « horde sauvage » proviennent du casting d'Aliens (1986). En effet, Kathryn Bigelow a choisi Lance Henriksen, Jenette Goldstein et Bill Paxton parce qu'ils avaient déjà créé des liens extrêmement forts sur le tournage du film de James Cameron. Ce dernier rencontre Bigelow pour la première fois en 1985. Et ils commencent à tout partager : matériel, acteurs et techniciens (le directeur de la photographie israélo-américain de Terminator, Adam Greenberg, deviendra celui de Near Dark). Mais Cameron va, surtout, partager la vie de Bigelow. Et leur relation deviendra officielle en 1987, lorsque le cinéaste divorcera de sa productrice Gale Anne Hurd. Cette année-là, Kathryn a 35 ans. Et s'apprête à entamer les prises de vues de Near Dark. Le producteur Ed Feldman prévient la débutante : « Je vais voir comment tu t'en sors les trois premiers jours de tournage. Mais si je m'aperçois que tu n'es pas à la hauteur, tu seras licenciée sur-le-champ ! » Alors la cinéaste prépare au mieux le film. Travaille dur. S'accroche à son rêve. Feldman lui accorde un modeste budget de cinq millions et demi de dollars et quarante-neuf jours de tournage – dont trente-huit de nuit. Il y a des effets spéciaux et des cascades à gérer. Toutefois, malgré un planning très serré, la réalisatrice vient à bout de toutes les épreuves. Au cœur du film, une séquence culte de dix minutes fait même sensation : l'entrée des vampires dans un bar et la tuerie qui s'ensuit. Une scène ultra-violente où Severin monte sur le comptoir et tranche la gorge du patron du saloon à coups d'éperons. Tandis que Jesse recueille le sang de la serveuse dans une chope de bière ! Le tout sur une reprise de « Fever » par le groupe de rockabilly américain The Cramps.
Not having a car while living under the roof of my very conservative, religious parents made it impossible for me t… https://t.co/tt6p1N199p
— Eris Sat Jul 24 03:49:55 +0000 2021
Un classique du fantastique
Lorsque Near Dark sort aux États-Unis en octobre 1987, il ne fait pas vraiment recette au box-office. Heureusement, il obtient les faveurs de la critique et de nombreux prix dans des festivals (dont la Licorne d'or du Festival de Paris du film fantastique, en juin 1988). Il connaîtra une seconde vie en vidéo. Et sera remarqué par Oliver Stone, qui produira le film suivant de Bigelow, Blue Steel, avec Jamie Lee Curtis en femme flic. Le 17 août 1989, Kathryn Bigelow épouse James Cameron. Mais ce dernier la quitte en 1991 pour son actrice Linda Hamilton, la Sarah Connor des Terminator. Ils continuent néanmoins de collaborer ensemble : Cameron produit Point Break avec Keanu Reeves, le premier succès commercial de Bigelow en 1991, et signe le scénario de son ambitieux film d'anticipation Strange Days, en 1995.Aujourd'hui, Near Dark est considéré comme un classique du fantastique. Son romantisme noir (la belle idée de la transfusion sanguine) fascine toujours autant. Et un prequel, First Light, a même été envisagé. Il devait se dérouler durant la guerre de Sécession et raconter comment le groupe de vampires s'était formé. Cette série B n'a pas coûté cher, mais elle n'a pas de prix : on peut déjà y déceler toutes les obsessions chères à la réalisatrice. Comme la marginalité en groupe (ses vampires new style annoncent la bande de surfeurs braqueurs de Point Break). Et surtout l'addiction, thème récurrent du cinéma de Bigelow. En effet, la soif de sang (quotidienne, comme un fix…) des vampires nomades de Near Dark s'apparente à une dépendance à la drogue dure. L'addict aux sports extrêmes de Point Break (Patrick Swayze), le dealer d'images virtuelles de Strange Days (Ralph Fiennes) et le sergent tête brûlée de Démineurs (Jeremy Renner), grisé par le danger et accro à l'adrénaline lors de ses missions en Irak, n'en sont que des déclinaisons.
(1) Extrait du livre Feux croisés, sorti en 1997 chez Institut Lumière/Actes Sud.