Faire payer les non-vaccinés pour leurs frais hospitaliers ne résoudra rien !
Publié le 27 janvier 2022-A+
Marquée par une explosion de cas de Covid-19 en raison de la progression « fulgurante » du variant omicron en France, la trêve des confiseurs a vu réapparaître avec force les « discours de la peur » sur la sauvegarde de l’hôpital et le rôle des non-vaccinés dans sa submersion annoncée. Notamment, l’avocat et chroniqueur Charles Consigny s’est offert quelques minutes de célébrité dans l’émission Les Grandes Gueules de RMC du 20 décembre dernier en préconisant de faire payer aux non-vaccinés leur accès hospitalier aux soins covid :
Je vous laisse apprécier la curieuse logique globale de l’intervention de Charles Consigny.
Disons seulement que se proclamer confiant dans la science, espérer néanmoins que les vaccins ne déclencheront pas des maladies neuro-dégénératives d’ici deux-trois ans « sinon on aura l’air fin avec nos obligations », batifoler ensuite sans intérêt et sans humour sur les neuro-dégénérescences évidentes de certains débatteurs des Grandes Gueules puis conclure « pour être sérieux » qu’on préférerait carrément une obligation vaccinale universelle votée par l’Assemblée nationale plutôt que l’obligation implicite du pass vaccinal – disons que tout ceci respire davantage le désir de se faire mousser par des propos calculés pour être iconoclastes que celui de nourrir le débat vaccinal avec cohérence.
Si l’on ne veut pas « avoir l’air fin avec nos obligations », il n’existe qu’une seule façon de procéder : permettre à l’information médicale de circuler librement et laisser à chacun, avec le conseil du médecin de son choix, la responsabilité de décider comment se protéger et protéger les autres du coronavirus. Ce peut être la vaccination. Pour beaucoup, ce sera la vaccination, si ce n’est déjà fait. Mais dans un contexte médical mal connu et incertain qui continue à nous réserver beaucoup de surprises, ce ne peut être l’obligation vaccinale, quelle qu’en soit la forme plus ou moins explicite.
Faire payer les non-vaccinés n’est pas une solution
Mais passons et parlons maintenant de sa proposition de faire payer leur hospitalisation et leur éventuelle réanimation aux patients non-vaccinés arrivant à l’hôpital pour Covid-19. Tout découle de cette idée que face à une vague pandémique irrépressible, notre système de soins ne tiendra pas le coup par la faute des non-vaccinés. Moins bien protégés que les vaccinés, ils arriveront en masse aux urgences, obligeant les services à déprogrammer des interventions et traitements pour leur faire de la place.
Charles Consigny n’est pas le seul à vouloir trouver une solution à ce scénario catastrophe. Dimanche dernier dans le JDD, le professeur émérite du CHU Pitié-Salpêtrière André Grimaldi suggérait que pour répondre à la question du « tri » entre malades que les médecins auraient éventuellement à faire en réanimation compte tenu du nombre limité de places, les personnes « revendiquant le libre choix de ne pas se faire vacciner » devraient peut-être assumer aussi « leur libre choix de ne pas se faire réanimer ». D’où sa préconisation de demander aux non-vaccinés adultes de rédiger des « directives anticipées » indiquant si ils « souhaitent ou non être réanimées en cas de forme grave de covid ».
Deux propositions, payer pour ses soins dans un cas, renoncer aux soins dans l’autre. Mais au final, la même approche malthusienne dans le contexte d’un système de santé systématiquement menacé de submersion, covid ou pas covid, comme on le constate chaque année aux urgences lors des épidémies de grippe, de bronchiolite, de gastro-entérite ou lors des épisodes caniculaires.
On discerne chez Consigny une gourmandise certaine à passer pour le méchant capitaliste de service des Grandes Gueules. De plus, on comprend que sa suggestion vise davantage à acculer les non-vaccinés à la vaccination sous la menace de rétorsions pécuniaires non négligeables, comme le fait le pass sanitaire en interdisant leur accès aux restaurants et autres salles de sport, qu’à les faire payer effectivement :
Il n’en reste pas moins que son idée et celle du Pr Grimaldi sont parfaitement illégitimes. Elles s’apparentent même à une forme de vol qui ne dit pas son nom, car tous autant que nous sommes, vaccinés ou non-vaccinés, salariés ou indépendants, nous payons déjà par avance les soins dont nous avons et/ou aurons besoin via les cotisations sociales prélevées sur les salaires et autres émoluments, sans oublier la CSG et la CRDS.
Et disons tout de suite qu’en ce domaine notre pays n’est pas en retard de prélèvements. Les déficits de l’assurance maladie se creusent et pourtant, Dieu sait que la France consacre chaque année une part importante de sa création de richesse annuelle à la santé – 11,2 % de son PIB en 2018, à égalité avec l’Allemagne, soit le niveau le plus élevé après les États-Unis et la Suisse selon le Panorama de la santé 2019 de l’OCDE :
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Dieu sait aussi que tous ceux qui ont voulu quitter la Sécu et adhérer à un autre système d’assurance maladie au niveau entreprise ou individuel pour alléger leurs charges et retrouver une liberté de choix s’y sont cassé les dents en vertu de l’implacable monopole de ladite sécu, solidarité collective oblige.
Oh, bien sûr, entre les impératifs solidaires de la redistribution des revenus et les politiques récurrentes de baisse des cotisations sociales sur les bas salaires – car on a fini par comprendre que leur ampleur pouvait nuire à la compétitivité des entreprises donc à leur capacité à créer de la richesse et de l’emploi – il est exact de dire que tout le monde ne paie pas sa santé au même tarif. Mais en aucun cas cette différence n’est motivée par les comportements sanitaires, alimentaires, sportifs, etc. des patients.
Le Pr Grimaldi le rappelle lui-même dans sa tribune, les médecins ont fait le serment (d’Hippocrate) de soigner les patients en fonction de leurs besoins médicaux, pas en fonction de leur plus ou moins grande observance des recommandations de santé publique.
Ces dernières – par exemple manger moins gras ou moins sucré ou moins carné ; utilité ou inutilité des masques – sont du reste très variables au cours du temps, parce qu’il y a des modes, parce qu’il y a des avancées dans la recherche médicale et aussi parce qu’il y a des agendas politiques à préserver. On ne saurait donc se fonder là-dessus pour « trier » les bons malades et les mauvais malades sauf à se retrouver à quelques mois ou quelques années de distance à écarter les patients qu’on avait privilégiés d’abord et vice-versa.
De plus, la pente est glissante. Tout le monde sait maintenant que le tabagisme est le premier facteur de risque du cancer du poumon, lequel se situe en France au second rang des cancers incidents chez l’homme et au troisième rang chez la femme. Faut-il pour autant refuser de soigner un fumeur – ou lui faire payer ses soins ou lui demander de renoncer volontairement à se faire soigner dans notre système de santé ? Faut-il refuser de soigner un sportif qui s’adonne à une activité sportive particulièrement risquée ? Faut-il refuser de soigner les accidentés de la route qui étaient en excès de vitesse au moment de l’accident ?
Peu de gens, et certainement pas les soignants, répondraient oui à ces questions. On voit mal dès lors pourquoi une telle perspective deviendrait acceptable avec la non-vaccination contre le Covid-19.
Il s’agit de responsabiliser les individus sur la question de leur santé, entend-on parfois. Louable perspective !
Mais la réalité, c’est que la pandémie de covid a révélé avec encore plus d’acuité que d’habitude que notre système de soins, bien que très coûteux, est avant tout rigidifié par une organisation collectiviste, centralisatrice et bureaucratique – « caporalisé et soviétisé » pour reprendre les termes de Michaël Peyromaure, chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin, lors de son audition au Sénat hier – qui se révèle incapable d’allouer ses ressources avec souplesse au moment et vers les domaines où nous en avons besoin.
Loin de la solidarité dont il se pare, il génère de la pénurie et place en conséquence les malades en concurrence les uns par rapport aux autres pour l’accès aux soins. Pas exactement la concurrence dont on rêve. Qui aurait cru, en 1945, quand fut institué le glorieux monopole de la Sécurité sociale tel qu’on le connaît encore aujourd’hui, que nous verrions un jour les bénéficiaires se battre entre eux pour y accéder ? Ou jouer sur leurs relations pour avoir un rendez-vous chez l’ophtalmo ou le gynéco un peu avant les autres et si possible dans moins de trois mois ?
Ouvrons plutôt ce monopole dont on ne peut sortir, dont les prix, habilement masqués par une apparence de gratuité, sont élevés et dont on constate qu’il n’est pas en mesure de répondre correctement à nos besoins. Introduisons de la concurrence, pas chez les patients, mais entre les organismes de santé. C’est à ce prix seulement que l’on verra les propositions de soins s’améliorer et s’accroître, sans nul besoin de pratiquer un tri des patients injuste et, en fin de compte, fort peu « solidaire ».
Article publié initialement le6 janvier 2022.
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