“Little Nightmares II” : le jeu vidéo qui plonge dans la peur à hauteur d’enfant
Deux petits êtres tentent de s’échapper d’un univers sombre et hostile dans le nouveau jeu aux allures de cauchemar du studio suédois Tarsier. Et aussi : la dure vie de gourou dans le lovecraftien Cultist Simulator et la charmante quête d’été de Summer Catchers.
C’est l’histoire de Mono, un petit garçon à la tête couverte d’un sac en papier, et de Six, une fillette en ciré jaune, qui sont prisonniers d’un monde « déformé par les transmissions inquiétantes émises par une tour lointaine ». En tout cas si l’on se fie à la présentation officielle de Bandai Namco, l’éditeur de Little Nightmares II conçu, comme le premier épisode paru en 2017, par le studio suédois Tarsier. Car les impressions que l’on retire de ce jeu nocturne au tempo ultra-précis et qui, pour s’exprimer, ne s’embarrasse pas de mots, se révèlent moins limpides, moins directes que ce petit scénario. À moins qu’au contraire, elles ne le soient que trop – ce que remue Little Nightmares II trouve en nous, profondément, un écho.
Ecolier maudit
Ça commence à peu près comme Limbo, le chef-d’œuvre des Danois de Playdead qui, ici, fait figure d’influence majeure. Dans la forêt, dans la nuit, notre personnage avance et tombe dans un piège. Puis dans un autre, et encore un autre. Il meurt, renaît, repart et nous idem, mais avec chaque fois un peu plus d’angoisse que celle d’avant. Dès ce premier décor sylvestre que suivront d’autres tout aussi évocateurs (une école, un hôpital…), le principe est posé : Little Nightmares II est une expérience de la vulnérabilité. Ce sentiment de diriger un être fragile dont la survie, à chaque instant, ne tient qu’à un fil, ne nous quittera pas pendant la grosse poignée d’heures que dure l’aventure. Certaines menaces ne peuvent d’abord pas être évitées. Comment deviner, par exemple, que mettre le pied à tel endroit du parquet déclenchera un dispositif qui se conclura par l’arrivée à toute vitesse sur notre crâne sans défense d’un seau ultra-lourd fixé à un fil ? Après, on se méfie et on apprend – on apprend à « lire » notre environnement, à anticiper. Mais, dans le même temps, on se dit qu’une autre « attaque » imprévisible pourrait surgir à chaque instant. La grande affaire de Little Nightmares II est là : dans sa manière d’allier le jeu d’ambiance (le walking simulator, ou plutôt running car on passe son temps à chercher à s’échapper) et le die & retry. D’injecter une dose du second, comme un virus, dans le premier, pour le contaminer. Ceci fait, même le vide en devient inquiétant.
Par bonheur, Little Nightmares II n’est pas un jeu punitif. Pas complètement, en tout cas, car s’il semble parfois nous vouloir du mal, la contrepartie sera, pour nous, la possibilité de retenter immédiatement notre chance, à partir d’un point toujours très proche de celui où l’on a failli. Avant, peut-être, d’échouer à nouveau car, pour un petit bonhomme comme le nôtre, traîner un gros marteau afin de se défendre des autres enfants un peu (beaucoup) bizarres de l’école qui ne veulent que se jeter sur lui et lui dévorer le visage est tout sauf évident. On ressent la lourdeur, la faiblesse, les secondes qui s’échappent et la nécessité d’agir (frapper, sauter, grimper, esquiver) pile au bon moment sous peine de relancer la boucle temporelle dans laquelle, par moments et pas seulement parce que le contrôle de notre personnage à la manette est légèrement imprécis, on se retrouve enfermé comme un écolier maudit.
Canard à roulettes
Heureusement, dans certaines séquences de jeu, on est deux et, comme dans Ico, on saisit notre amie par la main (« Six », qui était l’héroïne du premier Little Nightmares). On la retient pour éviter qu’elle tombe et elle fait de même. Lorsqu’il faut atteindre un passage en hauteur ou nous accrocher à une poignée de porte pour l’ouvrir, elle nous fait la courte-échelle, aussi. On n’est pas complètement seul (mais toujours un peu quand même). Ensemble, à l’hôpital, on se retrouve dans une pièce avec des livres, des jouets, des peluches que l’on passe aux rayons X – on ne sait jamais, ils pourraient contenir un trésor. Il y a des ballons, ici comme en d’autres lieux sombres, décatis et comme hantés par une vie passée qui y a laissé des traces. Et voilà un canard en bois équipé de roulettes dont Six se saisit et qu’elle emporte avec elle. Il ne tient aucune véritable place dans le jeu – dans ses mécaniques, dans la résolution de ses énigmes. Ludiquement, c’est un canard inutile, « gratuit ». L’effet produit n’en sera que plus fort si l’on daigne s’intéresser à lui.
Rêve noir
Little Nightmares II repose sur deux mouvements, deux actions, sur leur articulation et leurs contradictions. Il y a d’abord la course, la fuite. Il faut partir d’ici, la plupart du temps vers la droite de l’écran (comme dans les jeux de plateformes d’antan) et en finir avec ce monde hostile et monstrueux. L’autre geste omniprésent, c’est celui d’agripper, de tenir. La main de Six, donc, mais pas seulement : une arme, un objet qui va nous permettre de débloquer un passage interdit, le bord d’une armoire sur laquelle on voudrait grimper ou d’une plateforme au-dessus du vide pour ne pas tomber. Et puis il y a ces choses que l’on ramasse et qui ne servent à rien. Ces fétiches, ces doudous, ces trucs pour se rassurer, qu’on saisit moins parce qu’on y tient que pour se retenir à quelque chose. Il y a une touche de la manette pour ça, une gâchette pour créer un lien avec l’univers. On en use et en abuse, puis c’est la fugue.
Riche en idées qui renouvellent l’expérience, à l’image de ces téléviseurs entre lesquels on voyage en un éclair comme d’un trou à l’autre de Portal, mais qui ne brisent pas pour autant sa précieuse monotonie (car, oui, pour une œuvre, la monotonie peut être une qualité), Little Nightmares II nous secoue sans dévier de sa ligne. Celle, changeante, du rêve noir, de la hantise protéiforme et des traumas que l’on rassemble en bouquets. C’est un peu La Nuit du chasseur – il y en a un, d’ailleurs, un terrifiant –, un peu Eraserhead, un peu tous les films de monstre passés et présents, vus ou seulement imaginés, réduits à l’essentiel : aux terreurs enfantines qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’ont pas d’âge. C’est un peu triste, aussi mélancolique presque autant qu’effrayant. On ne voit jamais le visage des petits héros tremblants mais courageux de ce Little Nightmares II qui laissera des traces. Peut-être parce que, de l’autre côté de l’écran, le nôtre se tord à leur place.
Little Nightmares II (Tarsier Studios / Bandai Namco), sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S, Switch, Windows et Stadia, environ 30€
« Cultist Simulator : Initiate Edition »
En matière de « simulation de vie », il existe d’autres options qu’Animal Crossing. Par exemple, si l’on rêve plutôt de se retrouver à la tête d’une secte dans un univers lovecraftien, Cultist Simulator est une excellente adresse. Fraîchement adapté sur Switch, le jeu du Britannique Alexis Kennedy est de ceux qui se donnent sans mode d’emploi et que l’on apprend en les pratiquant. Ici, le système à dompter repose sur des cartes que l’on décide ou non de jouer et qui déterminent le destin de notre personnage. Va-t-il lire, se reposer, travailler ou se lancer dans une activité beaucoup plus spécifique et nécessitant plus d’une carte ? Inévitablement, on finit par perdre, c’est-à-dire par mourir, et c’est un descendant de notre personnage qui prendra sa suite. Plus on avance, plus se font jour la richesse et la subtilité de Cultist Simulator. Qui, en plus d’un formidable jeu stratégique, se réveille un modèle d’écriture vidéoludique (mais uniquement en anglais).
Sur Switch, Weather Factory, environ 20€. Également disponible sur Mac, Windows, Linux, iOS et Android
« Summer Catchers »
On connaissait le runner atmosphérique avec les très beaux Alto’s Adventure et Alto’s Odyssey. Avec Summer Catchers, déjà sorti sur PC et mobiles et tout juste arrivé sur la Switch, c’est vers le jeu d’aventure narratif que le studio ukrainien FaceIT entraîne ce genre dérivé du platformer et très populaires sur smartphone dans lequel il s’agit de faire éviter les obstacles qui se dressent sur sa route à un personnage qui avance tout seul. Ici, c’est une jeune fille qui rêve de quitter son pays enneigé pour rejoindre le Sud et l’été. Pour ce faire, elle devra remplir un certain nombre d’objectifs à chacune de ses étapes et utiliser au bon moment les outils à sa disposition pour faire sauter son véhicule, accélérer ou encore se protéger d’un bouclier. Si, à la longue, l’exercice se révèle un rien fastidieux (mais moins en tactile qu’à la manette), on pardonnera beaucoup à Summer Catchers pour son sens du détail, pour les rencontres qu’offrent ses phases d’aventure et pour son adorable style graphique tout en pixel art.
Sur Switch, FaceIT / Noodlecake, environ 10€. Également disponible sur Mac, Windows, Linux, iOS et Android