Une majorité est-elle encore à portée de main des partis?
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Fédérales 2021
ParL’élection d’un gouvernement majoritaire se complexifie à mesure que se transforme l'électorat. Déjà, les Canadiens ont élu quatre gouvernements minoritaires à Ottawa au cours des 20 dernières années. Justin Trudeau peut-il encore espérer relever son pari de redonner une majorité au Parti libéral?
« Les gens maintenant, les nouvelles générations en particulier, n'adhèrent plus en bloc aux idées d'un parti politique », constate le directeur scientifique de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, Éric Montigny.
Les partis eux-mêmes l’ont réalisé en voyant le déclin de leur membership. De moins en moins de partisans appuient leurs idées au point de s’offrir une carte de membre.
« Les plus jeunes n'envisagent plus la politique comme un projet d'identification sociale pour leur vie, renchérit Marc André Bodet, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université Laval. Ils s'accrochent à des politiques publiques et, lorsqu'ils sont déçus, ils quittent le bateau. »
C’est aussi ce qu’Éric Montigny appelle faire de la politique « à la carte, mais sans carte ». Les électeurs ne sont plus aussi fidèles. Ils soutiennent un parti tant qu’ils sont satisfaits, mais n'hésitent pas à changer leur fusil d’épaule entre les élections.
« L’intention de vote va donc changer ou même la volonté d’aller voter », prévient Éric Montigny.
« Auparavant, il y avait un devoir citoyen d’aller voter, mais aussi une volonté de s’identifier, poursuit le chercheur. Ce n’est plus le cas pour les nouvelles générations. »
Séduire à tout prix
Cette volonté des plus jeunes de choisir à la carte influence les stratégies des partis.
Ils doivent redoubler d’efforts pour séduire l’électorat et le convaincre d’aller voter. « Les programmes électoraux reposent beaucoup sur la recherche, poursuit Éric Montigny. Ils réagissent en ciblant des mesures précises pour certains groupes électoraux. »
Les récentes élections fédérales l’ont bien montré. Plusieurs partis partagent des promesses communes ou sensiblement similaires. C’est toujours le cas cette année.
« Le Parti libéral, dans son histoire, a souvent pigé dans les idées du NPD », rappelle Éric Montigny. Tout comme les conservateurs se sont positionnés cette année plus près du milieu syndical et ouvrier, traditionnellement acquis aux néo-démocrates.
« C’est le grand problème des partis politiques, reprend le professeur Bodet. Les électeurs de moins de 40 ans n’ont plus d’attachement. Ils sont dans une logique d'idées » plus que de partis et d’idéologie politique.
Viser une majorité
Lors d’une élection, chaque vote compte, et l’obtention d’une majorité en dépend tout autant.
« Mais avec l'explosion du marché électoral, c’est de plus en plus difficile d’obtenir des majorités », affirme Marc-André Bodet. La fragmentation du vote est aussi alimentée par un plus grand nombre de partis entre lesquels choisir.
Après une vague de gouvernements minoritaires dans les années 60 et 70, la Chambre des communes a connu, jusqu’au début des années 2000, un retour des majorités.
« Le chiffre magique, c‘est 38 % à 40 % des appuis pour un parti, explique Jean-François Godbout. C’est suffisant pour avoir une majorité. »
Le professeur titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal estime que ce résultat est encore à portée de main des partis. Mais pour combien de temps?
« Le moment où les libéraux ou les conservateurs arriveront à la conclusion qu’ils ne peuvent plus gouverner seuls, on changera la manière de fonctionner et on pourrait même voir des partis qui font des ententes pendant la campagne, et peut-être même avant la campagne, et potentiellement après », répond Marc André Bodet.
Collaborer pour mieux gouverner
Verra-t-on émerger des gouvernements de coalition au fédéral?
La proposition revient à chaque élection, mais peu de partis sont prêts à l’envisager en cours de campagne ni même une fois élus.
« Au Canada, ce n’est pas dans la tradition. Même minoritaires, les gouvernements ne forment pas des coalitions », rappelle Éric Montigny.
Ce n’est d’ailleurs jamais arrivé à la Chambre des communes.
Celles-ci forceraient pourtant les partis au pouvoir à faire des compromis sur le programme gouvernemental, et à y intégrer des propositions provenant de chacune des formations politiques, par exemple.
Elles le font pour l’instant non officiellement, surtout pour assurer la survie du gouvernement et repousser le moment où les électeurs canadiens seront rappelés aux urnes.
À l’européenne
Les coalitions gouvernementales sont plus répandues en Europe, où les modes de scrutin proportionnel ou mixte sont ancrés dans la tradition depuis le début du 20e siècle.
« Les politiciens ont développé l’habitude de négocier, de s'entendre avec les autres, affirme Marc André Bodet. Et les électeurs ont accepté cette idée que leur parti préféré allait faire des compromis avec d'autres partis. »
Si, au Canada, le compromis est vu comme un signe de faiblesse, poursuit-il, en Europe, c’est l’inverse. « Là-bas, la négociation fait partie des règles du jeu. »
Pour Marc André Bodet, c’est une question de temps avant que la façon de faire de la politique au Canada s’adapte à la nouvelle réalité de l’électorat. Il croit cependant davantage à la formation de coalitions parlementaires que gouvernementales.
« J’ai l’impression que c’est plus vers ça qu’on s’en va, lance-t-il. On rentre dans une logique qui est plus proche d’une négociation autour d’une politique publique. »
Dans ce genre de coalitions, un parti, en échange de la réalisation de quelques mesures, assure un appui à certains votes de confiance au parti au pouvoir, pour un temps donné. Mais il peut continuer à s’opposer au gouvernement sur d’autres enjeux qui n’étaient pas prévus à l’entente initiale.
« Tant que les grands partis auront espoir d'obtenir une majorité et de gouverner seuls, la négociation avec les autres partis sera vue comme un signe de faiblesse, croit-il. Ils ne sont pas encore prêts à aller dans cette direction-là. »
Entre-temps, les deux chercheurs rappellent que notre système parlementaire fournit déjà des possibilités à l’opposition de mieux faire cheminer ses idées.
« Il existe des mécanismes parlementaires qui permettraient d’accroître la capacité de l’opposition d’imposer le programme parlementaire, que le gouvernement soit majoritaire ou minoritaire », explique Éric Montigny, et ce, sans risquer de voir le pays plonger en campagne électorale tous les deux ans (le temps de survie moyen d’un gouvernement minoritaire).
Déjà, le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, a brandi la menace d’un gouvernement qui pourrait tomber en 18 mois advenant l’élection d’un autre gouvernement minoritaire. Autant les chefs du Parti conservateur, Erin O’Toole, du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, que du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’entendent pour dire qu’ils devraient au contraire travailler ensemble pour respecter le mandat de quatre ans prévu à la loi sur les élections à date fixe. Mais aucun ne s'engage sur la voie d’une coalition.
Pour se maintenir au pouvoir, un gouvernement minoritaire doit parfois faire des compromis. Certains votes, comme sur le discours du Trône et le budget, sont soumis à la confiance de la Chambre et ils peuvent entraîner la chute du gouvernement si l’appui des partis d’opposition n’est pas au rendez-vous.
Le parti au pouvoir a aussi la possibilité de dissoudre la Chambre, sans perdre un vote de confiance, comme l’a fait Justin Trudeau en demandant à la gouverneure générale Mary Simon de déclencher des élections fédérales dans l’espoir de retourner au pouvoir avec une majorité et arriver à gouverner sans compromis.
Et pourquoi ne pas réformer le mode de scrutin?
Cette proposition revient constamment dans le débat public.
« Changer le mode de scrutin, c’est ce qui brasserait le pommier le plus, selon Marc André Bodet. Mais je ne vois pas de modification dans un avenir proche au Canada. »
Le Parti libéral en avait fait une promesse de campagne en 2015. Il disait vouloir mettre le « citoyen au centre de la démocratie ». Mais cette réforme a été abandonnée moins de deux ans après qu’il eut réussi à faire élire un gouvernement majoritaire, l’un des rares du 21e siècle au fédéral.
Il n’en parle plus depuis, au grand dam des partis d’opposition qui espéraient enfin être mieux représentés à la Chambre des communes avec un nouveau mode de scrutin.
Le système actuel fait qu’en votant, nombreux électeurs optent pour un compromis « qui ne fait pas vraiment leur affaire », concède Marc André Bodet.
Il ajoute que « la Chambre qui est constituée après une élection n'est donc pas souvent une très bonne représentation de ce que pensent vraiment les gens ».
« Avec la proportionnelle, tous les votes comptent, alors qu'avec le mode de scrutin majoritaire à un tour, presque la moitié des votes sont gaspillés puisqu'ils ne servent pas à faire élire le candidat de son choix », rappelle Denis Monière.
La réalité est encore plus frappante lorsque la course est serrée dans une circonscription, selon le professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal.
« Ce gaspillage est encore plus élevé lorsqu'il y a plus de deux partis en compétition, précise-t-il, car un député peut être élu avec 30 % des votes et les 70 % qui ont voté pour un autre candidat perdent leur vote, comme on dit. »
Seuls le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert incluent encore à leur programme électoral une volonté de remplacer le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour par une proportionnelle mixte « qui représente mieux les électeurs et électrices ».
Ce mode de scrutin rapproche le nombre de députés élus du pourcentage de votes obtenu par un parti lors d’une élection. Il a aussi l’effet bénéfique, selon Denis Monière, d’améliorer le taux de participation électorale.
Sachant que le vote a « plus de valeur », les électeurs sont plus nombreux à se rendre aux urnes.
Éric Montigny ne croit pas pour autant que la réforme du scrutin soit la solution miracle.
« Un système politique idéal, c'est un système qui est en phase avec les valeurs de sa société, estime-t-il. Il n’y a pas de modèle unique ni de Saint-Graal de la démocratie. »
« Mais la démocratie demeure le moins pire des systèmes », ajoute-t-il, citant l’ancien premier ministre du Royaume-Uni Winston Churchill.
Reste maintenant à voir comment se manifesteront les intentions de vote le 20 septembre.
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Daniel Blanchette-Pelletier journaliste, Charlie Debons-Ricard designer, Melanie Julien chef de pupitre, Mathieu St-Laurent développeur et Martine Roy coordonnatrice
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