"Je vis un cauchemar et je ne sais pas comment me réveiller" : piégés par des crédits à la consommation, ils témoignent
"J'ai imprimé le formulaire de la Banque de France, mais je n'arrive pas à le remplir. C'est trop dur." Malgré ses 19 500 euros de crédits cumulés en quatre ans, Betty* se refuse encore à déposer un dossier de surendettement. Mère célibataire de trois enfants, elle fait partie des milliers de Français qui se battent au quotidien pour garder la tête hors de l'eau, malgré le poids des crédits à la consommation qui les assomme.
Une enquête de 60 millions de consommateurs, publiée jeudi 24 octobre, montre que la plupart des banques n'ont toujours pas baissé les montants des frais d'incidents pour les plus fragiles, comme Emmanuel Macron le leur demandait. Une situation qui contribue au surendettement des dizaines de Français qui ont répondu à notre appel à témoignages, comme Betty.
Mener un combat solitaire
Rien ou presque ne trahit le secret de sa situation financière. La fragilité de sa voix laisse deviner le fardeau d'un quotidien qui n'est fait que de calculs. Comme le fait qu'elle chuchote presque, quand elle évoque sa situation en public. À 39 ans, Betty jongle sans cesse avec les remboursements de crédits à la consommation, contractés pour faire face à un quotidien chamboulé. Après son divorce, Betty a dû quitter son emploi pour ne plus croiser son ex-mari. "J'ai conservé notre logement, mais je ne pouvais plus régler les 1 300 euros de loyer. Au moment de déménager, j'ai été obligée de payer des frais de remise en état, justifie-t-elle. J'ai donc pris un crédit. Puis un autre, pour une voiture."
L'engrenage est enclenché. Betty signe d'autres emprunts à la consommation pour rembourser les précédents. Résultat, chaque mois débute presque de la même manière : dans le rouge, avec un découvert que son salaire de 2 000 euros ne couvre plus. "J'ai l'impression de vivre un cauchemar et je ne sais pas comment me réveiller", finit-elle par glisser, en détaillant par le menu les sommes qu'elle ne peut plus régler, comme les factures d'électricité. Elle a changé de fournisseur, après une coupure d'eau chaude le mois dernier. "EDF va me relancer, mais j'espère trouver un arrangement avec eux", glisse-t-elle.
Cette "battante", comme elle se définit, est forcée de faire des choix, donne la priorité au loyer et repousse ce qui peut l'être, jusqu'à ce que ce ne soit plus possible, comme les 700 euros de soins d'orthodontie de sa fille de 16 ans. "Il fallait le faire, sinon c'était trop tard." Betty mène seule ce combat, ne s'en confie à personne. Elle écrit juste ce qu'elle a sur le cœur, dans un petit cahier doré qu'elle garde dans son sac.
Sandra* aussi se garde bien de dévoiler son lourd secret. "Quand les gens me croisent dans la rue, ils doivent se dire 'tout roule pour elle'." Cette vendeuse dans une enseigne de luxe, "mais mal payée", se doit de ne rien laisser transparaître. Jouer son rôle auprès de clients fortunés, aux préoccupations vestimentaires à mille lieues des siennes.
Ne pas faire de folies
À 34 ans, la jeune femme traîne comme un boulet deux crédits à la consommation, souscrits à son arrivée à Paris. "Mes parents payaient mon loyer, mais pour le reste je voulais me débrouiller. J'ai donc emprunté 8 000 euros. Je ne sais même pas comment la banque a pu me l'accorder, au vu de mes revenus." Elle reconnaît qu'à l'époque, elle ne faisait pas forcément attention. "Et pas envie de manger des pâtes tous les soirs."
Rapidement, elle se retrouve à découvert, obligée de prendre un second crédit pour rembourser le premier. L'argent lui sert aux dépenses courantes : pas de vacances, pas de restaurant, pas de folies. "C'est une galère totale, se lamente-t-elle.
À 250 kilomètres de Paris, dans la banlieue du Mans (Sarthe), André n'a jamais été aussi seul avec ses crédits. Après la disparition coup sur coup de son fils, de sa femme, et de ses parents, ce retraité de 68 ans n'a plus aucune perspective, hormis celle de rembourser. Il cumule trois crédits à la consommation depuis une dizaine d'années. Une situation classique, comme l'explique cette note de Terra Nova : sur les 3,6 millions de clients de banques en situation de fragilité financière fin 2017, chacun aurait en moyenne 3,4 crédits à la consommation sur le dos. Une situation rendue possible par l'absence d'alerte lorsqu'ils sont ouverts auprès de différents organismes, contrairement à ce que réclamait la Cour des comptes en 2017.
Après une fin de carrière chaotique et un accident qui l'a laissé handicapé, André a voulu "changer de vie" en quittant son logement du Mans, au loyer trop élevé pour sa retraite. "J'ai emprunté 5 000 euros pour m'acheter une voiture, une machine à laver, un réfrigérateur." Puis, incapable de payer ses impôts, il a contracté un crédit supplémentaire de 3 000 euros. C'est plus que ce qu'il lui faut, mais "vous savez, on s'habitue à avoir de l'argent". Il obtient sans difficulté un troisième crédit auprès d'une grande enseigne de supermarché.
Son seul désir désormais : "M'en sortir, mais je suis seul." Il a d'ailleurs tenté de faire racheter ses crédits, pour diminuer le montant global des remboursements mensuels et ainsi assainir la situation. "Mais je ne peux pas, je suis fiché à la Banque de France." Alors il fait le dos rond et ne sort qu'une fois par semaine, pour faire quelques courses avec sa voiture "en panne, mais qui peut encore rouler quelques kilomètres". Le reste de la journée, il le passe devant la télé, seul dans un quotidien rythmé par les relances des organismes de crédit.
Ne pas pouvoir aider ses enfants
Piégé, François l'est aussi. Ce retraité de Seine-et-Marne, qui vit provisoirement chez un de ses enfants, angoisse au quotidien en surveillant ses sept crédits à la consommation. Comme souvent, c'est un accident de la vie qui a précipité cet ancien ingénieur aéronautique dans un cauchemar. Un divorce, des factures qui s'empilent, un découvert… Et un premier crédit pour le combler. La série noire le conduit à vivre pendant trois mois dans sa voiture, "six jours à chercher une place de parking sans lampadaire pour pouvoir dormir, à manger dehors, et ne pas pouvoir tendre ses jambes. Je prévoyais dans mon budget une nuit dans un Formule 1 : c'était comme des vacances pour moi".
Ce qui le mine, c'est ne pas pouvoir aider ses enfants. Il a un fils en école d'ingénieur. "Il lui fallait 6 000 euros pour sa scolarité. On a voulu contracter un prêt étudiant, mais je ne peux plus être garant. Résultat, j'ai été contraint de prendre un crédit à la consommation, un de plus." Sa voix vacillante contient tout juste sa colère contre les banques. "Lorsque j'avais de l'argent, j'étais sollicité pour des placements. Maintenant, je suis le mouton noir."
Isabelle éprouve ce même sentiment d'injustice depuis que sa nouvelle banquière lui refuse un petit découvert de 200 euros, que la précédente lui accordait. Pour avoir conclu un contrat de crédit lorsqu'elle recevait une pension alimentaire de son ex-compagnon, elle est aujourd'hui étranglée par les charges. Asthmatique, cette mère célibataire de 47 ans ne peut plus se soigner correctement. "Je dois payer le médecin, donc avancer des frais avant le remboursement de ma mutuelle, mais comme mon découvert est annulé, le chèque risque d'être refusé… Alors je repousse."
Espérer retrouver "une vie normale"
Professeure de japonais à temps partiel dans l'Éducation nationale, elle peine à trouver des heures de cours. Isabelle n'a que ses proches pour l'aider. "Dès le 8 du mois, je n'ai plus rien. Cette semaine, j'ai trouvé une bonne offre de poulet dans un supermarché, donc on mange beaucoup de poulet. Heureusement que mon fils va chez mes parents pour varier le menu." Son espoir, c'est de rencontrer quelqu'un qui l'aidera à reprendre pied. "Je suis de bonne foi, je paye mes dettes, je ne veux pas profiter du système, se défend-elle. Je veux juste avoir une vie normale."
Alexandra* entrevoit tout juste le bout du tunnel. Grâce au Crédit municipal de Paris, cette retraitée de 67 ans a soumis un dossier de surendettement à la Banque de France. C'est en le constituant qu'elle a pris conscience de l'ampleur des emprunts additionnés : 35 000 euros au total. "J'ai fait l'autruche, je ne voulais pas voir. C'était une forme de déni. Je ne peux pas l'expliquer", confie-t-elle. Un crédit contracté après un licenciement, pour offrir des cadeaux de Noël à ses enfants, puis un autre.
Sont venues s'ajouter des rallonges suggérées par les établissements à coups de relances. "Si j'ai des crédits, ce n'est pas pour me payer des voyages, une voiture ou un canapé", se défend-elle. C'était pour mon quotidien. "Ils me proposaient de débloquer des sommes en 48 heures. C'était la solution de facilité", souffle cette ancienne secrétaire de direction.
Les remboursements étaient tenables quand elle travaillait, mais sa pension de retraite n'y suffit plus. "Avant, j'avais des primes régulières qui me permettaient de me remettre à flots. Là, je n'ai plus rien, à part ma retraite." Résultat, Alexandra ne sort plus et invente des excuses pour refuser les invitations. Comme Sandra, elle mène une double vie. Impossible de deviner l'abysse financier qui est le sien. Pourtant, elle vit avec "la boule au ventre à chaque fois qu'[elle] ouvre la boîte aux lettres, la peur de voir débarquer un huissier de justice."
Quand Alexandra a enfin sauté le pas et constitué son dossier de surendettement, les équipes du Crédit municipal de Paris lui ont conseillé d'évoquer sa situation avec ses enfants. "Leur avouer m'a libérée d'une angoisse, de la peur de leur réaction. Ce fut un véritable soulagement." Aujourd'hui, elle souffle et reprend espoir, sans oublier pour autant l'engrenage qui a failli la broyer. "Ça peut arriver à tout le monde", martèle-t-elle.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins.