Cyclisme. Madiot : « Ils sont tous en campagne présidentielle, mais pas un seul ne parle de sport »

Cyclisme. Madiot : « Ils sont tous en campagne présidentielle, mais pas un seul ne parle de sport »

Cocardier, ardent défenseur de la langue française dans le cyclisme mondial, meneur de bien des combats, décoré de la Légion d’Honneur, Marc Madiot a côtoyé des présidents de tout bord en quarante-cinq ans de métier, de Jacques Chirac à François Hollande en passant par Nicolas Sarkozy. Il a aussi croisé la route de plusieurs ministres des Sports, ne retenant que les noms de Buffet, Lamour et Braillard.

Coureur, il était surnommé « Krasu », en référence à Henri Krasucki, syndicaliste français, secrétaire général de la Confédération générale du travail de 1982 à 1992, pour son côté grande gueule et défenseur des droits des cyclistes.

Tandis que la campagne présidentielle prend de l’ampleur, il enrage gentiment à Calpe, en Espagne, où ses coureurs sont en stage d’avant-saison. Parce qu’une nouvelle fois, selon lui, le sport est absent des débats.

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Vous suivez la présidentielle ?

Oui. Et le sport ne semble pas au cœur des préoccupations de nos candidats à la présidentielle. Certes il y a la pandémie et tout le machin, mais le sport, il me semble, c’est une activité économique. Ils sont tous en campagne électorale mais malgré tout, quel que soit le candidat, pas un seul ne parle de sport. Aujourd’hui, moi, je ne sais pas pour qui voter.

Parce que vous voterez pour un candidat en fonction de la façon dont il vous parlera de sport ?

Quand tu vas mettre ton bulletin dans l’urne, tu réagis par rapport à tes propres préoccupations. Aujourd’hui, la différence entre la gauche et la droite n’est pas flagrante. Ce qui va me décider, ce sera les propositions qui me semblent intéressants sur mon devenir ou mon secteur d’activité. Donc le sport.

Pourquoi le sport a-t-il disparu du débat selon vous ?

Parce qu’on n’est pas un vrai pays de sport. Je le pense. Peut-être que je me trompe, mais quand on voit le budget dédié au sport dans un gouvernement, il est assez limité. On s’y intéresse un peu au moment des Jeux olympiques, de la Coupe du monde de football. Si un Français gagnait le Tour de France on dirait que c’est formidable. Mais sorti de ça…

La France manque d’une culture sportive.

La preuve, les hommes politiques s’adressent à la société française en ne parlant que de nucléaire, d’écologie, d’économie, de réindustrialisation de la France. Aucun ne parle de sport. Ça fait un paquet de présidentielles que je suis et auxquelles je vote, et je constate que ce n’est toujours pas un vrai sujet. On n’a même plus de ministre des Sports, on a un secrétariat d’État. Bien sûr, la période est particulière, mais quand même.

« Il y a encore quelques années, la préparation d’avant-saison, c’était dans le Sud de la France »

Vous parliez du sport comme d’un secteur économique important.

Cyclisme. Madiot : « Ils sont tous en campagne présidentielle, mais pas un seul ne parle de sport »

Un exemple : on est ici en Espagne (en stage hivernal), dans un hôtel 4*. La petite station balnéaire de Calpe est devenue en quelques années le centre mondial du cyclisme pour la préparation des saisons. Centre mondial qui était autrefois le Sud de la France, la Côte d’Azur. C’est pourtant une économie ! Des centaines et des centaines de cyclistes professionnels, de staffs, de cyclotouristes et d’amateurs viennent ici trois voire quatre mois dans l’année. Cette économie s’est totalement déplacée de chez nous en France, ou de la Riviera italienne, pour venir ici. C’est un vrai sujet. On a tout perdu. On a tout perdu !

Jeune coureur, vous partiez où ?

Quand j’étais jeune coureur, chez Guimard, je passais cinq semaines dans le Sud de la France, à Opio, dans les Alpes-Maritimes, l’endroit où s’est tué Coluche à moto le 19 juin 1986. Il y avait là un hôtel qui s’appelait la Tour d’Opio. Toutes les équipes étaient là. Une économie fonctionnait dans cette région, hôtels, bistros, course tous les trois jours, entraînements entre deux, pension complète dans des établissements familiaux. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Et nous voilà en Espagne. On est bien ici, on se sent tranquille, ce n’est pas le sujet. Mais quand tu vois le standing de l’hôtel et le niveau d’implication du patron ici et dans tous les autres établissements à vingt kilomètres à la ronde, il faudrait peut-être se poser des questions, non ? C’est un truc de sport qui ne demanderait pas grand-chose pour redémarrer en France, pourquoi pas avec l’appui de certaines régions.

La pandémie a tout de même révélé des priorités, non ?

Oui, et il faut aussi contrebalancer : l’État a plutôt joué son rôle en venant au soutien du monde sportif. Il ne faut pas dire n’importe quoi. Le job a été fait. Idem chez les partenaires. Le modèle économique français à pleinement joué. Mais c’est une fois tous les cinquante ans ! Je pense donc que les politiques devraient se pencher sur le fonctionnement économique du sport en général. Peut-être dire aux entreprises, par exemple : « Plus vous investissez dans le sport, plus on vous exonère » ? Il y aurait plein de leviers à activer.

« On est sur une continuité déclinante du modèle mis en place par de Gaulle »

Vous ne croyez plus aux fédérations, vous.

Je vais faire hurler, mais en effet je crois de moins en moins au sport fédéral et de club. Je trouve que le sport français dans son ensemble a besoin de retrouver de la compétitivité. On est sur la continuité du modèle mis en place par de Gaulle dans les années 60 parce que la France n’avait pas été bonne aux Jeux olympiques.

Une continuité déclinante.

Oui parce que les autres pays ont progressé pendant ce temps-là et n’ont rien lâché. Faisons un retour sur l’élection de Fédération française de cyclisme. Je vous prends mon seul exemple personnel. Ça fait quarante-cinq ans que je suis licencié. En quarante-cinq ans, je n’ai jamais eu un bulletin à mettre dans une urne pour les élections. Jamais. Il y a un problème, non ? Et quand j’ai eu le malheur de prendre position pour Guimard, j’en ai pris plein la gueule. Ce que je ne regrette d’ailleurs pas. Mais il y a un souci, non ?

Vous demandez donc une réforme du système fédéral global ?

Oui, quelle que soit la discipline. Tous les systèmes d’organisation de nos fédérations en France reposent sur un truc qui a besoin d’être réformé. On rêve tous de performer aux Jeux de Paris 2024. On attend des sportifs qu’ils ramènent des médailles, mais on fait quoi pour en avoir ? Le système est trop lourd. Le système « club » est vieillissant. On n’encourage pas l’investissement des gens au sein des clubs. À la moindre merde, les organisateurs se retrouvent en justice. Il n’y a pas d’accompagnement dans l’investissement individuel dans le sport. Rien. C’est sur la base du volontariat. Vous faites partie d’un club, vous voulez organiser une course de vélo dans votre village : c’est un bordel sans nom, un cahier des charges invraisemblable. On tue l’envie de faire.

« La concurrence internationale est là, féroce »

Ce sont les politiques qui ont la clé ?

J’attends qu’ils se manifestent. Venant du monde du sport, je me sens légitime de les questionner. Je ne vais pas plus loin que ça.

Vous avez toujours voté ?

Plutôt oui.

Donc parfois non.

Des coups, oui, je n’ai pas voté, la plupart du temps pour des raisons logistiques. Mais j’ai le droit de vote et je préfère l’utiliser. C’est important. Dans tout ça, il y a un truc qu’il ne faut jamais perdre de vue : les autres ne nous attendent pas. On y est confronté tous les jours à la Groupama-FDJ, dans notre structure internationale. La concurrence est là, la compétition est féroce. Paradoxalement, on a plutôt de bonnes structures, mais on est tout de même contraint à des obligations administratives que les autres pays ne connaissent pas. Par exemple, l’organisation du temps de travail.

Un exemple ?

Il y a deux ans, on voulait participer au Grand Prix de Francfort. Belle course, en Allemagne, soutenue par ASO. J’avais des coureurs qui voulaient y aller. Et on n’y est pas allé. Pourquoi ? Parce que je n’avais pas de personnel pour y aller. Temps de travail, récupération, machin, truc. C’est un exemple type de situation où le sport français se tire des balles dans le pied tout seul. On n’est pas opérationnel. Les étrangers se marrent. Quand vous racontez ça aux Belges, ils vous disent : « Ah oui mais vous les Français… ».

Ils disent quoi ?

Qu’on est sclérosé dans notre modèle. Ce qui est quand même insupportable quand on a envie de bien faire et de performer.

Il y a quelques jours, vous avez fait votre grand-messe de début de saison face aux coureurs et au staff, votre discours de politique générale si l’on peut dire. Qu’avez-vous dit ?

Présidentielle 2022. Et vous, quelles sont vos idées pour la France ? Je contribue

J’ai pris l’exemple du dernier GP de Formule 1 de la saison, de la concentration des mecs dans les stands. Je leur ai cité Louis XIV. Et puis je vais vous donner la conclusion de mon discours. Je les ai emmenés sur les plages du Débarquement. Je leur ai raconté une histoire. L’histoire de ces mecs qui, le 5 juin 1944, tard dans la nuit, sont montés dans un bateau avec un fusil, ne parlant pas français, n’étant pas français. Mecs à qui on a dit : « La barge va s’ouvrir, vous allez monter là-haut. Vous allez peut-être y rester pour certains. » J’ai dit à mes coureurs : « Même dans la mort, ils sont restés alignés. Quand vous allez au cimetière américain, quel que soit l’endroit où vous vous placez, toutes les croix sont alignées. Alors vous allez faire pareil, vous allez monter dans la barge, et quand elle va s’ouvrir, ce ne seront pas les canons allemands en face, mais des pavés, des bordures et l’Alpe d’Huez. Messieurs, maintenant, bonne route. Action. » Je n’ai plus envie d’entendre des « Oui, mais tu comprends ». Non, non, les mecs en 1944, ils sont montés dans le rafiot. Point final... (long silence)... Les coureurs ont bien écouté. Les mouches volaient. On était dans une grande salle, les chaises étaient bien alignées. Quand on est sorti, elles étaient toujours alignées (rires).

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