Curry, cheese naan, pickles... Vous saurez tout sur la (vraie) cuisine indienne
Trop pimentée, très grasse et longue à réaliser… La cuisine indienne souffre de nombreux clichés. On en oublierait presque que cette nourriture est à l’image de son territoire et de ses ethnies : une source de diversité inépuisable. C'est cette méconnaissance occidentale qui a poussé Sandra Salmandjee, alias Sanjee, cheffe et consultante culinaire, et Pankaj Sharma, blogueuse originaire de Jaipur, à vulgariser l'art de la table en Inde, à travers le livre La Cuisine indienne illustrée, sorti le 18 septembre aux éditions Mango. En marge de cette parution, les deux auteures et Beena Paradin, créatrice de la marque de préparations bio et végétariennes Beendi et Beedeli, démystifient en quelques anecdotes le véritable goût de Bollywood.
Six saveurs dans un repas
En Inde, la sempiternelle triade «entrée, plat et dessert» n’existe pas. Tout est réuni sur un seul et même plateau rond, le thali, sur lequel sont disposés plusieurs récipients en métal ou en feuilles cousues. Si le contenu varie selon la région et les saisons, on y retrouve les aliments de base d’un régime équilibré. À savoir : des céréales, des protéines animales (viande, poisson ou fromage), des légumineuses (généralement un dahl), des légumes, une salade, des condiments et une douceur sucrée. Quoi de plus normal, nous direz-vous. Sauf que selon les principes de la médecine ayurvédique, reconnue par l’OMS et issue d’une tradition indienne vieille de plus de 5000 ans, ce repas doit également combiner six saveurs essentielles à l’équilibre des doshas, autrement dits nos 3 énergies vitales. «Salé, sucré, amer, piquant, acide et astringent», liste Beena Paradin, fondatrice de Beendi et Beedeli.
Une première bouchée pour rassurer
Pour s’ouvrir l’appétit, la tradition indienne veut que l’on commence par une bouchée sucrée, aussi appelée mithai en hindi. «Leur goût très doux est là pour rassurer sur la suite du repas. On en croque un morceau mais on ne le mange pas forcément entièrement tout de suite», explique la blogueuse Pankaj Sharma. Le boundi ladoo, une petite boule de farine de pois chiche agrémentée de riz soufflé, de noix de coco ou d’oléagineux puis recouverte d’un sirop à la cardamome et au safran ou encore le gulab jamun, une boulette à base de lait caillé, frite et trempée dans un sirop similaire, font parties des indispensables. Ils sont servis notamment lors de grandes occasions comme la fête du dieu éléphant Ganesh. Les amateurs de glace, quant à eux, se tourneront vers un kulfi à la rose, au lait concentré, pistaches et amandes.
Le curry de la méprise
Vient ensuite le piquant à l’instar du curry. Et il suffit de lire son étiquette pour le constater : ce dernier ne contient pas une épice mais plusieurs, 5 à 25 variétés selon les recettes. De la coriandre, du curcuma pour la couleur jaune, du poivre noir, de la moutarde, du cumin, de la cardamome, des clous de girofle… mais pas une seule trace de feuilles vertes de curry, issue de l’arbre Kadi Patta - plus communément appelé Kaloupilé. Cette méprise viendrait des colons anglais au XVIIe siècle qui, dans le but de retrouver la saveur des viandes, poissons et légumes épicés en sauce - dénommés en tamoul «kari» -, auraient ramené dans leurs bagages un mélange d’épices de leur propre invention baptisé curry», rapporte Beena Paradin, également collaboratrice de la maison Rœllinger. «Les Indiens préfèrent parler de masala, qui désigne un mélange d’épices fraîches réduites en poudre. Chaque famille possède sa propre recette», poursuit la cheffe Sandra Salmandjee.
Le ghee, saine matière grasse
Afin de parfumer les pommes de terre, les choux-fleurs, les aubergines les courges serpent, les ignames éléphant, le manioc et autres légumes si chers à la culture hindouiste, la région du Bengale possède un masala populaire, le panch poron, un mélange de cinq graines (cumin, fenouil, fenugrec, moutarde et nigelle). Beena Paradin conseille de le faire chauffer au préalable dans du ghee. «Débarrassé d’eau et de ses protéines de lait, ce beurre clarifié est une excellente matière grasse, très digeste, qui permet de frire les épices fraîches sans les brûler», détaille Sandra Salmandjee. Le ghee s’utilise également pour la confection de pâtisseries raffinées, la cuisson de viandes, de poissons ou de légumes.
À lire aussi » Comment faire du ghee, ce beurre santé venu d'Inde ?
En vidéo, comment clarifier du beurre
Le chutney et les pickles, condiments stars
À Noël, les Français se régalent d’un délicieux chutney de figues déposé sur leur tranche de foie gras. Si sa consonance anglaise peut prêter à confusion, cette sauce est bel et bien indienne. Elle se prépare à l’aide de fruits frais, comme le tamarin, de mangue ou de coco, d’herbes telles que la menthe et la coriandre. «On les mixe pour en faire une pâte, un peu comme le wasabi», rapporte Beena Paradin.
Dans le thali, le goût sucré et acide du chutney contrebalance sur avec celui piquant et astringeant des pickles ou achards, ces condiments fermentés. Il s’agit d’un grand classique de la cuisine du sous-continent. Selon la fondatrice de Beendi et Beedeli, il en existerait plus de 1000 recettes : des dattes, des piments, des oignons lacto-fermentés, de la mangue cueillie verte marinée dans du vinaigre et des épices ou encore un citron confit dans du jaggery - un sucre non raffiné -, des épices et du vinaigre. «On pense souvent à tort que les plats indiens, les dahls ou les currys sont trop épicés, en réalité on devrait se méfier davantage du pickle, qui peut être parfois immangeable pour un palais sensible», raconte Beena Paradin. Pour apaiser le feu des épices, un autre condiment leur sera recommandé : le raïta, une sauce verte et douce à base de yaourt à la grecque, de crudités, de pomme, de menthe, cumin et citron vert.
Naan versus chapati
Au risque de décevoir une partie du lectorat, le naan, ce petit pain à la pâte de farine blanche levée et fermentée, semblable à une pâte à pizza, ne se consomme pas à New Delhi dans les mêmes proportions qu’une baguette à Paris. Et pour cause, sa cuisson doit être réalisée dans un tandoor, un grand four cylindrique en argile chauffé au charbon où les galettes sont collées conte une paroi avoisant les 400°C. Les Indiens les achètent nature mais aussi farcis à l’ail, aux légumes ou la viande.
Autre déception, le fameux cheese naan, très apprécié des foodies, n’existe pas, il aurait été inventé par un restaurateur parisien, nous apprend Beena Paradin. «Aujourd’hui, les chefs indiens se sont appropriés à leur tour la recette en garnissant leurs naans de Vache qui rit ou encore de stilton, ce fromage bleu crémeux de Grande-Bretagne», note la fondatrice de Beendi. «Certains y ajoutent du paneer, le seul fromage indien à base de lait caillé, de vinaigre ou de citron. Sa saveur lactée rappelle la ricotta et sa texture, le tofu», résume la bloggeuse Pankaj Sharma.
Par souci de praticité et économique, les familles préfèrent ainsi consommer des chapati, ces galettes plates à base d’eau, de sel, de farine complète (blé, millet, maïs). «Elles sont une bonne alternative au riz dans le thali et dans le Nord, on les utilise comme ustensile pour porter les aliments à la bouche. Toujours de la main droite, la main gauche étant réservée pour les tâches impures d’hygiène», souligne Pankaj Sharma.
Des boissons sucrées et salées
Vache sacrée oblige, l’Inde fait partie du plus gros producteur et consommateur de lait dans le monde. En dehors des repas, il est d’usage de boire un lassi, une boisson brassée avec du yaourt au lait entier, du sucre et de l’eau. On la sert bien fraîche en version sucrée avec des fruits (banane, mangue) et aussi salée avec de la pâte de gingembre, des feuilles de coriandre ou du cumin moulu.
À 17 heures, le temps s’arrête en Grande-Bretagne pour siroter un bon thé. Une habitude que les Indiens ont conservé après la colonisation, en y ajoutant bien entendu des épices dont ils ont le secret. Ainsi est né le masala chaï, un thé noir dans lequel sont infusées des épices bienfaisantes, aux vertus respirantes notamment, comme le gingembre, la cardamome, le clou de girofle, le safran, puis du lait entier ou concentré et du sucre. Au pays de Gandhi, son vendeur, le chaiwala, se reconnaît de loin grâce à ces grands gestes qui transvasent d’un pot à l’autre le mélange à la couleur caramel avant de servir les clients.
Divine lunchbox
À l’image des grands chefs, les Indiens vouent un véritable culte à la nourriture familiale, préparée 99% du temps par les mères et les femmes de la maison. C’est pourquoi, les travailleurs et écoliers n’oublieraient pour rien au monde leur tiffin à midi, cette lunchbox en inox à étage contenant une combinaison alléchante de légumes, de dahl, de riz, de yaourt, de pickles, de chapati et de pudding à la carotte. «Aucun restaurant indien ne peut rivaliser avec le contenu de cette boîte et cela les arrange bien», assure la blogueuse Pankaj Sharma. En effet, certaines communautés ont des restrictions alimentaires particulières : les hindous ne mangent pas de viande, les musulmans, du porc et les jains excluent l’ail et l’oignon.
"Samosa is the new croissant"
En cas de petit creux, les amateurs de street-food se régalent. «En Inde, le samosa est l’équivalent du croissant français, on en consomme à toute heure, le matin ou l’après-midi», raconte Pankaj Sharma. En fonction des régions, les recettes diffèrent. Au nord du pays, ce cône triangulaire à la pâte brisée est garni de pommes de terre et de petits pois, tandis qu’au sud, on le farcit de viande ou de poisson. Une fois cuits, ils se dégustent trempés dans un chutney de tamarin et de coriandre.
Le paan, l’alliée de l’haleine
Contrairement aux idées reçues, les Indiens se soucient grandement de leur hygiène, en particulier buccale. En fin de repas, les convives, la plupart du temps les hommes, se nettoient la bouche avec un paan», relate la bloggeuse Pankaj Sharma. Cette préparation se compose d’un mélange de feuilles de bétel (un poivrier grimpant, NDLR) et de son fruit, la noix d’arec. Le tout est fourré avec de la confiture de rose, des graines de fenouil, de melon, de cardamome et de noix de coco. De quoi définitivement renvoyer votre liqueur Menthe-Pastille au placard.