Quels sont les effets du bruit des avions sur notre santé?
Une carte blanche de Anne-Sophie Evrard, Chargée de recherche en épidémiologie, Université Gustave Eiffel etBernard Laumon, Directeur de recherche émérite, Université Gustave Eiffel.
Comme le révélait unsondage réalisé en 2010, la moitié des Français considère le bruit des transports comme la principale source de nuisances sonores. Et d’après uneenquête de l’INRETS(devenu l’IFSTTAR, puis l’Université Gustave Eiffel) remontant à 2005, ce sont 6,6 % des Français qui se déclarent gênés par le bruit des avions.
Dans unavis datant de 2004, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France estimait que ce bruit constitue un problème de santé publique, tant par la gêne qu’il induit que par ses effets sur le sommeil. Il fallait cependant disposer de davantage de données pour émettre des recommandations : telle est la raison d’être du programme de recherche Debats (Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé).
Piloté par l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, confié à l’Université Gustave Eiffelet lancé en 2009, il nous a livré de nombreux résultats, dont certains viennent tout justed’être publiés. Petit tour d’horizon des observations…
Une enquête, trois approches
Mis en place aux abords de trois grands aéroports français (Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon-Saint-Exupéry et Toulouse-Blagnac), Debats vise à mieux quantifier les effets du bruit des avions sur la santé physique et mentale des riverains. Et l’on y trouve trois volets complémentaires :
Plus de décès liés aux maladies cardiovasculaires
La première de ces études dites écologique a été réalisée sur 161 communes : 108 autour de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, 22 aux abords de Toulouse-Blagnac et 31 dans les environs de Lyon-Saint-Exupéry. Elle a utilisé pour chacune d’elles les données de mortalité transmises par leCentre épidémiologique des causes médicales de décès de l’Insermsur la période 2007-
2010, et les cartes de bruit produites par Aéroports de Paris et la Direction générale de l’aviation civile (respectivement en 2008, 2004 et 2003 pour les trois aéroports).
D’après ses résultats, et après prise en compte des facteurs de confusion (âge, sexe, densité de la population, pollution de l’air…), une augmentation de l’exposition au bruit des avions de10 décibels (dB(A)) est associée à un risque de mortalité plus élevé de 18 % pour l’ensemble des maladies cardiovasculaires, de 24 % pour les seules maladies cardiaques ischémiques et de 28 % pour les seuls infarctus du myocarde. Mais aucun lien significatif n’a été trouvé avec les accidents vasculaires cérébraux.
Si elles confirment les résultats d’études antérieures, ces données ne permettent pas de conclure sur un quelconque effet au niveau individuel : c’est pourquoi ont été mises en place deux autres études individuelles, l’une portant sur le suivi de riverains pendant quatre ans, l’autre s’intéressant à la qualité du sommeil d’un petit échantillon d’individus.
Un état de santé affecté
Après tirage au sort via l’annuaire téléphonique dans les grandes zones de bruit définies autour des trois aéroports, quelque 1244 riverains âgés de plus de 18 ans ont été inclus dans l’étude longitudinale en 2013, 992 d’entre eux ont participé au suivi en 2015, et 811 ont été revus en 2017.
Interrogés à domicile par un enquêteur de l’Université Gustave Eiffel sur leur mode de vie, leur état de santé (auto-évaluation), leurs éventuels problèmes psychologiques, leur gêne due au bruit des avions, la qualité de leur sommeil ou encore leur santé cardiovasculaire, ces participants ont aussi fait l’objet de mesures de paramètres physiologiques (pression artérielle, fréquence cardiaque et concentration de cortisol salivaire). Qu’a-t-on constaté ?
Après avoir pris en compte les potentiels facteurs de confusion (c’est-à-dire des facteurs qui peuvent entraîner des erreurs sur l’intensité de l’association entre exposition et événement de santé étudié), et sur les seules données collectées en 2013 pour l’instant, il a été noté qu’une augmentation du niveau de bruit de 10 dB(A) est associée à :
Des troubles du sommeil objectivés
À la fin des entretiens menés à domicile, les enquêteurs demandaient aux riverains s’ils acceptaient de participer à une seconde étude, centrée sur leur sommeil et requérant l’installation de plusieurs instruments de mesure. Au total, 112 personnes ont accepté, dont 79 ont été suivis en 2015, et 62 en 2017.
En complément des données recueillies dans le cadre de l’étude individuelle longitudinale, nous avons réalisé chez eux : des mesures acoustiques à l’intérieur et à l’extérieur de la chambre à coucher pendant sept jours ; des mesures actimétriques durant les sept nuits et des enregistrements du rythme cardiaque durant une nuit ; une mesure acoustique d’exposition individuelle en continu sur 24 heures.
Cette instrumentation a permis de noter, en lien avec une augmentation du niveau de bruit des avions de 10 dB(A) et/ou de dix événements de bruits d’avions :
Des conclusions renforcées
Pour l’heure, seuls les résultats des analyses des données individuelles collectées en 2013 ont fait l’objet de publications scientifiques – ceux basés sur les données recueillies en 2015 et 2017 et sur l’ensemble des données restant encore confidentiels jusqu’à leur publication dans des revues internationales. Force est de constater, toutefois, que les premières données de Debats confirment ce qui a d’ores et déjà été observé par d’autres équipes de recherche à l’étranger.
Les résultats renforcent notamment les conclusions de la plus importante étude menée à ce jour et portant sur les effets (hypertension artérielle et maladies cardiovasculaires) du bruit généré par letrafic aérien et la circulation routière à proximité de six grands aéroports européens(à Milan, Berlin, Stockholm, Londres, Amsterdam et Athènes).
Enfin, en améliorant la connaissance de la situation sanitaire française, Debats devrait permettre de répondre à la demande des riverains de grands aéroports et d’évaluer les potentiels bénéfices de mesures de réduction des nuisances sonores.
Remerciements à l’Anses, l’Acnusa, la DGAC, la DGPR, la DGS et l’Université Gustave Eiffel qui ont financé Debats, ainsi qu’à Marie Lefèvre, Clémence Baudin (IRSN), Ali-Mohamed Nassur (Action contre la faim), Liacine Bouaoun (IARC), Bruitparif, Marie-Christine Carlier (HCL), Patricia Champelovier (Univ Eiffel), Lise Giorgis-Allemand (Univ Eiffel), Aboud Kourieh (Univ Eiffel), Jacques Lambert et Damien Léger (Centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel Dieu) pour leur collaboration.
Cet article est paru initialement sur The Conversation France. Lire ici l'article original.