Hôpital de Perpignan : "L'été a été démoniaque, les Urgences ne sont pas là pour traiter tous les maux de la terre", alerte le docteur Laurent Ortega
Docteur Laurent Ortega, après un second été sous Covid aux Urgences de l'hôpital, comment attaquez-vous la rentrée ?
On est tous là, fatigués au sortir de cet été démoniaque où on a énormément donné, et on va continuer à améliorer le parcours du patient dans les Urgences et à l'intérieur de l'hôpital. À cet effet, on ne cesse de se réorganiser pour assumer en plus des vraies urgences toute cette patientèle qui nous submerge et pourrait être traitée par la médecine de ville ou par des maisons médicales.
Vos effectifs suivent ?
On ne sera jamais assez face à l'affluence exponentielle des Urgences, mais on s'apprête à accueillir cinq nouveaux jeunes médecins urgentistes qui ont été recrutés et vont venir renforcer l'équipe. C'est positif, cela ne permettra pas d'être au complet, mais c'est une bouffée d'oxygène bienvenue après l'été de tous les records que nous venons de subir.
Notamment un record de fréquentation?
Oui, l'activité a été violente, on a tenu le choc difficilement. L'été a commencé mi-juin lors du déconfinement. Tout le monde a voulu partir en vacances et au final venir chez nous. C'est là qu'on a commencé à battre tous les records d'affluence. Par rapport à 2019 l'année de référence, on a fait en moyenne vingt patients supplémentaires par jour, soit 11% de plus et cela continue aujourd'hui.
À combien avez-vous chiffré les passages au moment des pics?
Sur les plus hauts niveaux, on a traité 600 patients mensuels de plus qu'en 2019. Plus 600 en juillet et plus 500 en août pour un volume global de 6600 patients par mois avec la quatrième vague qui a été limitée grâce à a la vaccination. Ceci dit, la situation a été extrêmement tendue dans le public comme dans le privé. On est tous dans la même problématique et on essaie de travailler ensemble.
Moins de congés, plus d'heures de travail et le renfort de 4 médecins militaires des Forces spéciales
Concrètement comment avez-vous fait face ?
On a réorganisé les Urgences début juillet, en sectorisant et en mettant en place des équipes de soins dédiées Covid et non-Covid. Puis, on a raccourci nos vacances et on a augmenté le nombre de nos heures de travail. Pour autant,il y a eu beaucoup d'attente pour les patients, mais les urgences vitales, les cas les plus graves ont été privilégiés, c'est notre rôle premier. Et c'est pour nous une immense satisfaction d'avoir réussi sans renfort, à l'exception des trois à quatre médecins militaires du CNEC qui travaillent dans les Forces spéciales et sont régulièrement venus nous aider sur les gardes. Ils ont franchement été les bienvenus.
Les urgences vitales représentent combien de patients au quotidien?
Une vingtaine en moyenne. Ce qui augmente fatalement le temps d'attente du patient lambda qui reste de l'ordre de 4 à 5 heures. On a bien conscience qu'on doit optimiser toujours plus notre structuration et c'est d'ailleurs notre volonté de tous les jours. Mais il faut aussi prendre en compte que le département accueille 2000 retraités supplémentaires chaque année et qu'en saison estivale on multiplie par quatre la population des Pyrénées-Orientales, en comptant une ville, Argelès, de 135 000 touristes où la permanence de soins est inexistante. Dans ce contexte, il est évident que les Urgences sont dans l'incapacité de recevoir tout le monde, de traiter la bobologie, la consultation simple...
La création de maisons médicales saisonnières serait la solution?
On demande leur déploiement depuis deux ans déjà. Ce nouveau réseau sanitaire devient totalement indispensable sur les périodes les plus critiques de l'année, car il est impératif que ces patients qui ont besoin de soins aient une réponse à leurs problèmes de santé sans passer par nos services. Malgré l'évolution incessante des process de secours, il nous est impossible d'être efficace face à une telle hausse de fréquentation. Et encore une fois, je parle pour tous les services d'urgences du département, public et privé. Tout le monde souffre. On doit arriver au plus vite à mettre en place un schéma sanitaire plus cohérent.
Le projet bloque où précisément ?
Un, par manque de médecins; deux, c'est une volonté politique. De notre côté, on a fait le travail mais force est de constater que la situation n'avance pas. Il semblerait qu'actuellement l'ARS travaille sur une couverture sanitaire adéquate, je demande à voir.
Combien de maisons médicales seraient nécessaires ?
Trois. Une soit à Argelès soit à Elne pour couvrir aussi la Côte vermeille où à partir de 20 heures il n'y a plus de médecins. Une autre vers le Barcarès et enfin une dans les Fenouillède, les autres territoires étant couverts. Ce dispositif permettrait aux patients d'être examinés sur place, puis renvoyés à leur domicile ou orientés vers nous en cas de réelle nécessité. Sans ce cordon sanitaire, tout le monde se rabat sur l'hôpital et ce travail de tri dans l'urgence nous incombe.
"On a des gens assis aux Urgences qu'on ne peut pas allonger car on n'a pas de lits d'hospitalisation disponibles, on ne peut même pas les mettre sur des brancards, on n'en a plus non plus"
En dehors de l'été, le maillage sanitaire du territoire est-il adapté ?
Non, il faut qu'on arrive à travailler avec les médecins généralistes pour renforcer le réseau hôpital/ville. Et que l'hôpital redevienne un lieu où on puisse apporter une réponse adaptée sur les vraies urgences. Les urgences pour les urgences.
Vous n'avez plus connu de répit depuis combien de temps ?
Deux à trois ans. En ce moment on prend de plein fouet le post-Covid avec beaucoup de personnes âgées pour lesquelles il faudrait assumer les circuits courts. Une personne de 95 ans atteinte d'une altération de son état général, est-ce la mission des Urgences de s'en occuper ? Ne serait-ce pas plus simple de la faire hospitaliser directement en concertation avec son médecin traitant au lieu de passer 20 heures chez nous dans l'attente d'un lit de gériatrie qu'on n'aura pas? Les urgentistes n'ont que deux bras et deux jambes et les Urgences, je le répète, ne sont pas là pour absorber tous les maux de la terre.
L'épidémie Covid a forcément aggravé la situation...
Ce Covid s'est finalement avéré être un formidable révélateur de dysfonctionnements, il a amplifié toutes les fractures sociétales avec nous, les Urgences publiques et privées à la croisée des chemins. On est devenu le seul lieu ou les gens peuvent venir.
Votre pôle Urgences est-il affecté par des suspensions de personnels non vaccinés ?
Non, sur les 300 effectifs du pôle Urgences qui comprend l'accueil pur des Urgences, le SAMU, le SMUR, l'hospitalisation à domicile et l'unité médico-judiciaire, on a eu quelques personnes récalcitrantes au début, mais qui ont fini par se faire vacciner. Sinon, nous avons eu de deux démissions d'infirmières mais pour des projets personnels. Des postes qui seront remplacés, la direction joue le jeu.
Vous craignez l'arrivée de l'hiver avec son lot de traumatismes et le risque d'un nouveau variant virulent du Covid?
La traumato ne m'inquiète pas. Une nouvelle flambée Covid oui et non. On commence à peine à voir l'éclaircie poindre, ce n'est pas le moment de baisser la garde. Ne tombons pas le masque, n'abandonnons pas le pass sanitaire et continuons à vacciner. Le vaccin a tout changé depuis la première vague.
Malgré cette éclaircie, vous continuez à manquer de places, de lits, de brancards ?
Ce mardi après-midi d'octobre, par exemple, c'est le feu. On a des gens assis aux Urgences qu'on ne peut pas allonger car on n'a pas de lits d'hospitalisation disponibles, on ne peut même pas les mettre sur des brancards, on n'en a plus non plus. Donc on est obligé de mélanger la petite traumatologie avec les gens couchés, les gens dans les couloirs... Tout cela on veut le changer, on va le changer, je ne lâcherai pas.
Le projet d'un numéro d'appel d'urgence unique, le 112, inquiète le Dr. Ortega
Réconcilié avec les sapeurs-pompiers critiques cet été sur les délais de réponse du SAMU qu'ils jugeaient "trop longs", - depuis le SAMU a augmenté sa capacité de réponses aux appels par l'apport de neuf aides à la régulation et par la présence d'un régulateur supplémentaire en période de vacances -, le Pôle Urgences de l'hôpital est aujourd'hui confronté à une nouvelle source d'inquiétude : la loi Matras du nom du député LREM Fabien Matras, prochainement réexaminée en chambre parlementaire. Le texte propose d'instaurer un numéro d'appel d'urgence unique pour tous les services de secours, le numéro européen 112.
"Les contours de la réforme sont encore flous. Derrière ce 112, qui va répondre? Un opérateur d'accueil qui passera l'appel à un aide à la régulation lequel le transmettra à un médecin régulateur? Résultat, les délais de prise en charge risquent de considérablement augmenter. On craint une déstabilisation majeure des services d'urgence de santé", réagit le patron du Pôle Urgences, Laurent Ortega.
Foncièrement contre cette loi, le praticien n'y voit d'ailleurs strictement aucun intérêt. "On travaille bien ensemble avec les pompiers, on a réglé les difficultés techniques qui pouvaient générer des tensions, on s'entend bien, ils ont comme nous fini l'été au bout du rouleau, on est tout à fait d'accord pour les valoriser, pas pour les casser ", conclut Laurent Ortega.