«La gastronomie fait partie de la vie parisienne et de la vie française»
Il le dit d’emblée, il ne faut pas confondre gastronomie et cuisine. Patrick Rambourg (1) date la popularisation du mot «gastronomie» aux alentours du XIXe siècle. A cette époque, il s’accompagne d’un discours sur le boire et le manger. «On ne peut pas dire que la gastronomie naît à une date précise, même si le mot a été remis au goût du jour à l’époque. petit à petit, il est entré dans les dictionnaires. Il est interprété de façon différente selon les pays et les langues. Aujourd’hui, il s’agit d’une définition plus large qui englobe les arts de la table.»
D’après l’historien, les premiers traités culinaires apparaissent au Moyen Age : on y mangeait avec les doigts. «La notion de plaisir de la table est là», détaille-t-il. En France, quand on dit «la gastronomie», on pense à la haute cuisine. Mais cela peut inclure un repas de famille ou de fête. Pour le gastronome et auteur Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), tout ce qui a trait au menu, à «cette notion de “faire plaisir en servant la cuisine”, c’est de la gastronomie». On publie l’Almanach des gourmands, ou encore la Promenade gourmande dans le Paris d’époque. On trouve des adresses de commerces où faire ses courses… Tout cela contribue à mettre en avant la gastronomie.
«Consommé d’éléphant»
Paris est au centre de ce mouvement : la capitale de la bonne cuisine. La France est le pays de la gastronomie, une tradition royale que Versailles a porté au plus haut. En 1760, les restaurants y apparaissent. Depuis les années 1730, on pratique, selon l’historien, une «nouvelle cuisine, plus légère, qui veut s’adresser à une clientèle élitiste, sur le modèle des traiteurs».
Paris est une ville où se multiplient les commerces de bouche. Les appartements étant exigus, les parisiens sont habitués à acheter leur nourriture à l’extérieur. Et les restaurants connaissent un énorme succès. Ils jouaient sur ce fameux mot «restaurant» qui est aussi une façon de soigner sa santé, «pour aller mieux». Dans les établissements luxueux, les petites tables sont dressées avec des assiettes pourvues d’un liséré d’or. Il y a des box où s’isoler. On indique la provenance des mets. Une salle spécifique est réservée aux dames… On compte déjà des fameux noms comme Beauviliers, les Trois Frères provençaux, le Grand Café, ou les Frères Véry. On trouve alors deux catégories de commerce. Ceux qui sont à la carte, avec un tarif par mets. Les autres à prix fixes, avec un menu tout compris, qui s’adresse à toutes les couches de la population.
Très vite, ces restaurants vont faire des émules dans le monde entier. Cette création française s’accompagne des plaisirs de la mode. On présente Paris comme la ville de la restauration. «Quand les Prussiens arrivent en 1814, ils ne pensent qu’à une chose, manger dans les restaurants de la capitale. Le menu du réveillon de l’époque comprenait un consommé d’éléphant !» détaille l’historien.
«Haut de gamme»
A cette époque, de grands chefs travaillent encore pour des aristocrates ou des membres de la famille royale. On organise des dîners littéraires. «Cet environnement gastronomique fait partie de la vie parisienne et de la vie française. La France a construit sa réputation sur le haut de gamme.»
Aujourd’hui, la «bistronomie» et le «fooding» ont rajeuni le contexte. Les émissions télé se multiplient. De grands chefs (Bocuse, Gagnaire, Robuchon) se sont libéré de la «haute cuisine» et jouent sur deux registres en ouvrant «une annexe». Désormais, le repas du midi dans un trois-étoiles est plus accessible que celui du soir. Il n’y a plus «une» cuisine française mais «des» cuisines françaises qui séduisent une clientèle jeune, urbaine, «avec l’idée que la qualité peut se faire à un prix raisonnable».
(1) Auteur d’Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, Perrin, «Tempus».