Endométriose : "un problème de femmes" encore méconnu
« L’endométriose est une maladie avec un point de départ gynécologique » explique le Professeur et chirurgien Horace Roman de la Clinique Tivoli Ducos de Bordeaux. Les symptômes apparaissent en même temps que les premières règles et ne disparaissent, en général, qu’après la ménopause. Cette maladie gynécologique chronique démarre dans la sphère utérine mais peut se déployer, par la suite, dans tout l’organisme.
« Elle consiste en la présence de lésions des cellules ayant un comportement similaire aux lésions de la muqueuse utérine, mais qui ne se trouvent pas dans l’utérus. [Elles se déplacent] ailleurs dans l’abdomen, voire le thorax » ajoute Horace Roman.
Selon l’Inserm, en France, 1 personne menstruée sur 10 est atteinte d’endométriose ; 70 % de ces personnes souffrent de douleurs chroniques invalidantes. « C’est une douleur qui empêche d’agir au quotidien. Les jeunes filles ne pourront pas aller au lycée, les femmes ne pourront pas aller travailler. C’est une douleur qui cloue sur place, qui résiste et ne cède pas avec un simple antalgique » témoigne la présidente de l’association Endofrance, Yasmine Candau.
Le 11 janvier dernier, le président de la République Emmanuel Macron a pris la parole pour faire de l’endométriose un enjeu de santé publique. Pour la première fois, un président prend la parole et annonce une stratégie de lutte contre l’endométriose. « Ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société » a déclaré Emmanuel Macron. Un sujet discuté depuis des mois par des associations telles qu’Endofrance, les équipes du gouvernement et des professionnels de santé.
« On a reçu beaucoup de témoignages de femmes qui disaient avoir été très émues d’entendre le président parler d’endométriose, elles disaient : "C’est comme s’il me parlait à moi, il décrit mes symptômes" […]. Pour nous en tant qu'association, cela fait vingt ans que l’on œuvre pour entendre ce discours, pour attirer l’attention des pouvoirs publics. C’est une première victoire » se réjouit Yasmine Candau.
Plus récemment, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité la reconnaissance de l’endométriose comme une « affection de longue durée » (ALD), ce qui permettrait une prise en charge totale des frais médicaux, ainsi qu’une flexibilité des arrêts maladie et aménagement des journées de travail pour les personnes atteintes d’endométriose.
UNE MALADIE ENCORE TRÈS PEU CONNUE
L’endométriose est différente selon chaque corps, c’est une maladie « très hétérogène » selon Horace Roman, qui ajoute qu’encore aujourd’hui, « on ne connaît rien sur cette maladie ». C’est pourquoi, les différents spécialistes et experts s’attellent à essayer de comprendre et de classifier les différents symptômes. « On parle de stades 1, 2, 3, 4, qui se basent sur la probabilité d’une fertilité naturelle. Les patient.e.s qui ont un stade 4 ont beaucoup moins de chances de concevoir naturellement que des patient.e.s en stade 1. En stade 4, les chances d’avoir un enfant « naturellement » sont inférieures à 10 %, ce sont surtout lorsque les trompes et les ovaires sont atteints. […] La douleur n’est pas du tout corrélée aux stades. Un.e patient.e en stade 1 peut être très invalidé.e par la douleur » indique le chirurgien.
Comme l’explique la présidente d’Endofrance, « il y a trois formes d’endométriose. Le kyste à l’ovaire (endométriome), qui se voit très bien à l’échographie. L’endométriose profonde, qui s’observe également très bien. Et l’endométriose « superficielle », qui est la première forme d’endométriose, et qui ne se voit pas à l’IRM, parce qu’elle est trop légère. Elle reste en surface de la membrane qui entoure les organes dans le ventre ». Dans le cas de l’endométriose superficielle, le médecin se base sur l’examen clinique et le diagnostic thérapeutique.
Une personne atteinte d’endométriose peut souffrir quotidiennement de différents symptômes. Parmi eux, « l’endobelly », représenté par des ballonnements très importants, faisant gonfler le ventre « comme si on était enceinte de plusieurs mois » précise la présidente de l’association. Les troubles digestifs tels que la dyschésie peuvent apparaître selon les atteintes, et selon la localisation des lésions, sur le rectum ou le colon. On parle alors d’endométriose digestive.
Concernant la sphère gynécologique, beaucoup souffrent de dysménorrhée, de dysurie, mais également de douleurs pendant les rapports sexuels. L’ensemble de ces symptômes provoquent, à la longue, une fatigue chronique. À cela peut s'ajouter une forme d’anxiété. « Puisque l’organisme lutte, on dort très mal, cela nous réveille » précise Yasmine Candau. La liste des symptômes diffère selon les cas et les zones des lésions.
ERRANCE MÉDICALE ET MANQUE DE TRAITEMENTS
L’Inserm estime à sept ans la durée d'errance médicale avant que la maladie ne soit diagnostiquée et donc suivie. La douleur des règles a longtemps été banalisée puisque le processus physiologique crée des contractions de l’utérus qui génère forcément quelques douleurs. « Mais à partir de quand on décide que c’est normal d’avoir mal ? » s’interroge la présidente. « Encore aujourd’hui, des médecins ne savent pas diagnostiquer l’endométriose. Parfois, ils considèrent qu’une personne ayant eu un enfant ne peux pas avoir d’endométriose. Certains décrètent que l’endométriose est une maladie à la mode. C’est aberrant d’entendre cela. Il y a un vrai déficit de formation médicale. »
« On ne sait pas encore aujourd’hui d’où les cellules d’endométriose proviennent. Pour certaines femmes, il y a un reflux par les trompes, pour d’autres ce sont clairement des lésions qui se forment sur place, sans que l’on comprenne pourquoi » explique Horace Roman. « Par conséquent, on ne peut pas traiter la cause de l’endométriose. Aujourd’hui, la seule chose que l’on sait faire au niveau médical c’est de bloquer les règles, pour bloquer la croissance des lésions et réduire l’inflammation et les symptômes. […] Au prix d’une absence de règles et donc d’un effet contraceptif ».
Aujourd’hui, il n’y a pas de traitements curatifs définitifs mais différentes solutions pour soulager les symptômes et empêcher la prolifération de la maladie dans l’organisme. Souvent, il s’agit d’une prise de pilule en continu.
Marlène Sarda est atteinte d’une endométriose sévère. Elle est bénévole au sein de l’association Endofrance. « Je me suis faite opérer pour des kystes sur les ovaires. On ne m’avait jamais parlé d’endométriose. Au réveil, c’était la catastrophe. Le médecin m’a annoncé que j’en avais partout, jusqu’aux poumons. On m’a expliqué que malheureusement, en retirant les kystes, les trompes et les ovaires avaient suivis. À 34 ans, on m’annonçait que j’allais être mise sous ménopause artificielle, que je ne pouvais plus avoir d’enfant et que j’étais atteinte d’endométriose ».
Suite à une longue errance entre divers centres de soins, Marlène Sarda a souhaité tout tenter pour avoir un enfant, malgré son endométriose. « J’ai été extrêmement bien soutenue par les professionnels de santé du centre de Tivoli ». Après plusieurs essais, elle a finalement réussi à tomber enceinte grâce à un don d’ovocyte en Espagne. « Au mois de mars 2021, après l’échec des FIV et une première fausse-couche, un nouvel embryon a donné lieu à la naissance d’Adrien. J’avais 42 ans et demi. Évidemment, cela a un coût, ce n’est pas pris en charge, mais il fallait que j’aille jusqu’au bout, pour me dire que la maladie n'avait pas gagné. Je ne regrette pas, même si ce parcours était moralement vraiment très difficile. »
Plusieurs centres et instituts se sont spécialisés dans le soin et dans l’accompagnement des personnes atteintes d’endométriose, notamment l’Institut Franco Européen Multidisciplinaire d'Endométriose ouvert en 2018 à Bordeaux. À ce jour, l’institut enregistre 3 750 consultations par an et traite également les formes les plus sévères.
« L’endométriose sera vraiment résolue lorsqu’une équipe de chercheurs identifiera sur les cellules d’endométriose un récepteur spécifique. Ensuite, on créera un médicament qui viendra se fixer précisément sur ce récepteur et tuera la cellule que l’on ne veut pas. À ce moment-là, on pourra faire disparaître l’endométriose, sans empêcher les femmes de tomber enceintes et sans avoir les effets secondaires des traitements hormonaux. Nous sommes néanmoins très loin de cet objectif » conclut le chirurgien.