"Ce n'étaient que des cellules": la fausse-couche encore trop souvent minimisée, elles racontent
En France, une femme sur 10 aura subi une fausse-couche au cour de sa vie. Un drame encore largement tabou et mal pris en charge par les professionnels de santé. Trois femmes nous racontent ce qu’elles ont vécu et les réactions auxquelles elles ont été confrontées.
PublicitéHélène, 41 ans, Camille, 29 ans et Audrey, 25 ans, ont vécu une fausse-couche. Elles ont accepté de raconter à NEON ce qu’elles ont vécu, afin de briser le tabou sur ce phénomène, encore trop minimisé, comme l’a pointé du doigt une étude publiée dans The Lancet le 26 avril dernier.
Le moment où elles ont appris
Hélène, 41 ans : « En couple depuis un moment, je travaille, mon conjoint est sur sa fin d’étude. Nous désirons un enfant, j’arrête la pilule et tombe tout de suite enceinte. Échographie de datation et des battements de coeur, beaucoup d’émotion. Quelques semaines plus tard, des douleurs au ventre, on va tout de suite aux urgences. La personne qui nous reçoit refait une échographie et paraît gênée. Elle appelle un médecin. On n’entend plus le coeur, c’est une fausse-couche. Le temps se suspend, on ne comprend pas bien ce qui se passe.
Camille, 29 ans : Lors du premier confinement, début avril, suite à un retard de règles, je fais un test et je découvre que je suis enceinte. Début mai, on l’annonce à nos amis proches, ils sont hyper enthousiastes. Début juin, j’ai rendez-vous pour l’échographie du premier trimestre : je me souviens avoir eu un appel de la maternité qui me dit que mon copain ne pouvait pas y assister. Au moment de l’échographie, il y a un silence très gênant et je vois que l’embryon n’a pas beaucoup évolué depuis la dernière fois, et il n’y a pas d’activité cardiaque. On m’annonce qu’il n’y a plus de vie. Je demande à appeler mon copain sur le parking et je n’ai pas le droit. Je suis sous le choc, j’avais continué à grossir. Je ressens un sentiment de trahison de la part de mon corps, qui ne m’a pas montré que je portais un bébé sans vie.
Audrey, 25 ans : Ça fait 5-6 mois qu’on essayait d’avoir un bébé, donc il est vraiment voulu et attendu. Quand j’apprends que je suis enceinte, il y a beaucoup d’excitation. Sur les trois premières semaines, je vois ma gynécologue 4-5 fois pour vérifier que tout va bien, jusqu’au jour où on devait entendre le coeur. Quand elle fait l’échographie, je comprends tout de suite lorsque je vois que la poche est vide. Je m’effondre, la gynéco n’a pas les mots, elle commence à me caresser le genou, mon compagnon me dit d’arrêter de stresser. L’ascenseur émotionnel est très dur : si la veille j’avais eu des crampes, des pertes de sang, à la limite… mais là ce n’est absolument pas le cas.
Le curetage
Quand une grossesse s’interrompt, il faut parfois expulser totalement l’embryon. Cela peut se faire lors d’une opération chirurgicale ou par intervention médicamenteuse.
Hélène : J’ai toujours les symptômes de la grossesse, les nausées et les seins tendus. Difficile de réaliser qu’à l’intérieur, cette petite crevette ne vit plus en moi. Le médecin anesthésiste me reçoit quelques jours après. Je lui explique mon désarroi et le fait que je n’arrive pas à accepter cette fausse-couche, sachant que mon corps m’envoie des signaux contraires. Elle me rassure, me dit que c’est normal et que je peux faire une échographie avant le curetage pour m’assurer que ce petit coeur ne bat plus. Le jour J arrive, lorsque je suis emmenée au bloc, une anesthésiste arrive et me dit qu’elle va m’endormir. Je refuse et lui indique que je dois d’abord passer une échographie. Elle repart et revient avec la médecin. Cette dernière me répond qu’elle n’a pas besoin de faire une échographie, c’est une fausse-couche, « ça arrive régulièrement ». Pour elle, peut-être, pas pour moi, 1ère grossesse, 1ère fausse-couche, un deuil à faire… Je lui redemande et lui explique que pour moi c’est nécessaire. Elle refuse… et demande à l’anesthésiste de me piquer. Elle essaye mais je me débats. Je m’endors en pleurs… Et me réveille quelques heures plus tard sans avoir eu l’assurance que ce petit être était bien mort. Même si la raison me dit que je pouvais faire confiance aux paroles des médecins, je reste avec cette question en moi : et si c’était une erreur ? et si notre petite crevette était vivante au moment du curetage?
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Camille : J’avais questionné la gynéco sur le genre de douleurs que j’allais ressentir, elle m’avait dit que j’allais perdre beaucoup de sang, mais je ne sais pas à quoi m’attendre. C’est très douloureux, et je perds une quantité de sang qui me fait halluciner. On me dit qu’il fallait aller aux urgences si j’en perd vraiment trop, mais c’est difficile de savoir à quel moment ça fait beaucoup. Avec mon copain, on se sent tous les deux très seuls, sans aucune information. J’ai juste trouvé sur google une notice venant d’un site canadien.
Audrey : Le jour où je reçois le médicament qui provoque l’expulsion, ce n’est pas ma gynécologue habituelle. Là, je fais face à une preuve d’inhumanité : c’est robotisé, comme si c’était normal. Pendant l’échographie de contrôle, elle regarde sans prononcer la moindre parole puis dit, « je confirme le diagnostic, il n’y a pas de coeur ». On m’a à peine donné des informations sur le médicament, j’ai dû creuser pour savoir ce qui allait m’arriver. Ça rend l’épreuve encore plus difficile qu’un médecin agisse comme ça.
La réaction des proches
Camille : J’ai eu quelques remarques comme « c’était que des cellules », « c’était pas vraiment un bébé » « le fait que ce soit un bébé surprise, c’est que vous ne le vouliez pas vraiment », mais j’en ai oublié beaucoup pour avancer. Mes amis ont été très compréhensifs, même s’ils ne savaient pas vraiment comment se comporter avec nous. Certains ont été très touchés.On avait prévu d’aller chez mes parents annoncer la grossesse, on y est allés mais pour annoncer la mauvaise nouvelle car on était en souffrance. Ils ont compris, ont été très doux avec moi.
J’ai découvert que j’avais des tantes qui avaient fait des fausses couches. Je me suis dit que c’était dommage d’avoir attendu que ça m’arrive à moi pour découvrir tout ça, mais je me suis sentie moins seule. Je me suis rendue compte à quel point c’est tabou, et depuis longtemps. Par contre, dans l’été qui a suivi, j’ai sept copines qui m’ont annoncé qu’elles étaient enceinte. J’ai dit que j’étais très heureuse mais j’essayais parfois d’expliquer ce qui s’était passé et que je ne pouvais pas m’investir à fond dans leur grossesse. Certaines ont compris, d’autres non.
Audrey : J’estime avoir été bien épaulée même s’il y a eu certaines remarques de banalisation, avec des phrases de type, ‘ça arrive, tu retomberas enceinte », « c’était pas encore un bébé, ça faisait que 7 semaines« . Ces remarques, ce n’est juste pas possible pour moi car ce n’est pas banal. Il y avait plein de projections autour de ce bébé que j’allais avoir. Je ne peux pas entendre qu’on me dise que ce n’en était pas encore un. On fait de cet acte un tabou dont personne ne parle, et quand ça arrive on fait comme si rien ne s’était passé. C’est incohérent cette manière d’aborder la fausse-couche.
Le suivi post-fausse couche
Hélène : L’hôpital ne m’a proposé aucun suivi psychologique. C’est moi qui ai contacté la gynécologue qui me suivait, et c’est elle qui m’a fait mon suivi, m’a ausculté, et appris que j’avais eu une suture. Quand je suis revenue à Bordeaux, j’ai vu le collaborateur de mon médecin traitant et il est la seule personne à m’avoir dit que j’avais peut-être besoin d’un psychologue. Moi, j’étais dans le déni de ce qui s’était passé et de sa violence, à me dire que tout allait bien, que j’étais forte. J’ai fait ce suivi psychologique beaucoup plus tard.
Camille : J’ai fait la demande d’une consultation psychologique à la maternité, la gynécologue m’a regardé en mode « ah bon? ». J’ai eu un gros problème de légitimité : je me disais que des femmes devaient vivre pire que ça et que je prenais leur place. J’ai failli annuler dix fois ce rendez-vous. Finalement, on a discuté une heure et elle m’a aidé, notamment sur comment en parler à mon entourage, car il y avait ce tabou énorme. Quelques semaines après, j’ai du retourner à la maternité faire une échographie, et on m’a annoncé : « c’est bon, votre ventre est vide ». Elle m’a aussi expliqué que mon corps allait bien, et que si je voulais retomber enceinte, c’était bien de le faire dans les mois qui suivaient.
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Audrey : Au niveau psychologique, je n’ai eu aucune proposition d’aide. Pourtant, c’est très très dur. Toutes les femmes qui tombent enceinte peuvent témoigner de ce sentiment de plénitude et donc, du jour au lendemain, on se retrouve complètement vide et c’est le plus dur à expérimenter dans tout ça. Je sentais un grand vide et j’avais l’impression que rien ne pouvait le combler. Aujourd’hui, un mois après, j’ai encore des moments très difficiles.
L’après
Audrey : Ma vraie thérapie a été de pouvoir en parler sur une vidéo postée sur mon Instagram, de lire des témoignages… ça m’a énormément aidé à sortir la tête hors de l’eau. Je suis très heureuse d’avoir pu trouver le courage de faire cette vidéo. Je me suis dit que si je ne le faisais pas pour moi, je le faisais pour les autres, pour qu’elles se sentent moins seules.
Hélène : C’est finalement le curetage qui a été plus violent que la fausse-couche. Il y a une banalisation dans le milieu médical, alors que lorsqu’on vit ça, c’est dur, il y a un deuil à faire. Je me suis moins autorisée à avoir de la peine car finalement d’autres femmes le vivent, donc pourquoi je devrais moins bien le vivre que les autres ? Depuis, j’ai eu un enfant, j’ai été accompagnée et j’ai fait un travail pour surmonter cette épreuve. Et aujourd’hui, je me rends compte que cette épreuve m’a apportée de belles choses, un travail sur moi-même, une conscience plus accrue des violences que peuvent subir les femmes et un désir de les combattre.
Camille : La bonne nouvelle, c’est que je suis actuellement enceinte de sept mois. Le premier semestre n’a pas été évident à vivre, mais je me suis entourée des bonnes personnes, j’ai fait plus de consultation que la moyenne. J’ai rapidement annoncé ma grossesse parce que si jamais ça arrivait de nouveau, je préférais que mon entourage soit là. J’ai aussi fait de la réflexologie, pour moi. J’ai eu besoin de porter un collier, de mettre un symbole pour me souvenir de ce qui s’était passé. Mon compagnon s’est fait tatoué un petit pansement en hommage à cette première grossesse. Je pense que j’en ferai un aussi.