Bulgarie Un village musulman perpétue un mystérieux rite nuptial
(Ribnovo) Derrière des guirlandes argentées et son maquillage blanc parsemé de fleurs, Nefie Eminkova garde les paupières closes le temps de la procession nuptiale.
Publié le 12 janvierNikolay DOYCHINOV Agence France-PresseDans le village montagneux de Ribnovo en Bulgarie, la jeune femme de 21 ans célèbre un rituel ancestral, que la minorité musulmane Pomak a réussi à préserver malgré les politiques d’assimilation endurées du temps du communisme.
Cette tradition haute en couleur dure deux jours entiers, culminant avec la peinture du visage de la mariée.
À l’abri des regards, cette séquence appelée « gelina » consiste à apposer une épaisse couche blanche avant d’y coller des paillettes multicolores.
« Nous avons voulu nous marier à la mode locale », confie la mariée, qui n’ouvrira les yeux qu’après la bénédiction de l’imam.
« Mes parents n’ont pas eu la chance d’avoir une telle cérémonie. J’ai choisi ce rituel ancien pour leur faire plaisir », ajoute son fiancé Schaban Kiselov.
Pari visiblement réussi : « ils ont l’air plus heureux que nous ! », sourit ce Bulgare de 24 ans, dont la tenue décontractée contraste avec la parure de sa compagne.
« Forte résistance »
De nombreux habitants de cette localité de 3000 âmes se disent fiers d’avoir rétabli ces noces traditionnelles, oubliées ailleurs.
Sous le régime communiste, qui s’est effondré en 1989, le pouvoir, déjà hostile au christianisme orthodoxe dominant, était très dur envers les musulmans.
Il alla jusqu’à changer de force leurs noms pour les remplacer par des patronymes slaves « dans les années 1970 », explique Mihail Ivanov, auteur d’une large étude sur les Pomaks.
Ces descendants de Bulgares islamisés pendant la domination ottomane (14e-19e siècle) ont particulièrement souffert.
« Une première tentative d’assimilation a eu lieu à Ribnovo en 1964 et s’est heurtée à une forte résistance », souligne l’expert, ancien conseiller à la présidence sur le sujet des minorités.
Environ 200 000 Pomaks vivent aujourd’hui en Bulgarie, mais seul ce village du massif de Rhodopes ainsi qu’un autre dans le sud du pays, Draguinovo, ont redonné vie à cette tradition hivernale.
Billets de banque
C’est sans doute lié à la position géographique « isolée » de Ribnovo, « le fait que la communauté musulmane y vit repliée sur elle-même », analyse Evguenia Ivanova, professeur d’ethnologie.
« Personne ne sait depuis quand cette cérémonie existe exactement », note-t-elle, précisant qu’elle est aussi pratiquée en Turquie.
Comme « le voile de la mariée dans la religion chrétienne », la peinture masque les traits de la jeune femme qui ne seront révélés que le soir, quand son époux lavera son visage au lait.
Avant ce rituel, la fête est rythmée par les sons du tambour, les danses et une profusion de mets – l’alcool, lui, est interdit –, tandis que le couple marche main dans la main affublé de billets de banque.
On y expose aussi, à même la rue, la dot qui comprend « tout ce dont la nouvelle famille aura besoin », détaille Nefie. Des chaussettes tricotées pour nouveau-né au lit tout prêt des mariés, à côté d’une télévision flambant neuve ou d’un lot d’ustensiles de cuisine.
Bientôt elle partira en Allemagne, où Schaban gère une petite entreprise de pose de parquet. Comme de nombreux autres Bulgares, il a dû quitter sa terre natale pour chercher meilleure fortune en Europe de l’Ouest.