Between overproduction and drop in prices, organic milk is in poor position
« Ça correspond à une baisse de prix de 13 euros par 1 000 litres de lait bio, de 15 euros si l’on y ajoute la baisse de prix précédente. Soit une diminution de nos revenus de 8 250 euros sur douze mois. » Benoît Collorec ne décolère pas. Installé en Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) avec son frère à Hanvec (Finistère), converti à l’agriculture biologique il y a un an et demi, il élève 120 vaches sur sa ferme de 200 hectares. Il a signé un contrat avec Sodiaal pour la vente de 750 000 litres de lait par an. Une affaire qui roulait jusqu’à ce que, en août dernier, la coopérative abaisse brutalement son prix d’achat. « On va faire des économies sur tout ce qu’on peut et repousser les investissements. Je devais acheter du matériel à foin, c’est reporté, soupire l’éleveur. L’autre possibilité, c’est de diminuer de 3 000 à 5 000 euros nos 14 000 euros de prélèvements privés annuels — l’équivalent d’un Smic par mois alors qu’on travaille cinquante heures par semaine. Mais on ne peut pas vivre de rien non plus et ce n’est pas normal de devoir faire ça. »
Depuis plusieurs mois, la coopérative Sodiaal, qui regroupe 17 600 producteurs en France, est confrontée à une crise de surproduction. « La ressource en lait bio a largement dépassé le cadre prévu : c’est plus de 15 millions de litres qui ont été collectés au-delà du budget », a-t-elle écrit à ses éleveurs. « Depuis 2016, Sodiaal s’est développée sur l’exportation de lait infantile bio à destination de l’Asie », dit à Reporterre Éric Guihery, éleveur en Mayenne et secrétaire national lait de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab). Las, l’eldorado chinois s’éloigne : pour la première fois, en 2020, les importations de lait infantiles de l’empire du Milieu ont reculé de 3 %, en raison de la pandémie de Covid-19, d’une baisse de la natalité et d’une augmentation de la production nationale de lait. En conséquence, la coopérative a annoncé en août dernier qu’elle paierait 10 % du lait bio collecté au prix du lait conventionnel non-OGM — soit entre 357 et 387 euros les 1 000 litres (la tonne) au lieu de 470 à 500 euros —, pendant un an. Elle n’a pas répondu aux demandes d’entretien de Reporterre.
Cette crise affecte l’ensemble de la filière. Biolait, son acteur historique, rassemblait en 2020 1 400 fermes et avait collecté 300 millions de litres de lait, soit 30 % de la collecte bio en France. « La coopérative nous a demandé de maîtriser la production », a dit à France 3 Bretagne Yvon Cras, éleveur à Plougar (Finistère). Malgré cela, elle a été contrainte de baisser son prix d’achat à ses adhérents. « Biolait nous avait annoncé un prix de base [1] moyen de 407 euros la tonne pour l’année. Ce prix va être abaissé à 380 euros en septembre. Aujourd’hui, il déclasse environ 30 % du lait collecté, faute de marché où l’écouler », indique à Reporterre Charlotte Kerglonou, porte-parole de la Confédération paysanne en Ille-et-Vilaine, qui élève avec son associé une soixantaine de vaches sur 63 hectares à Essé (Ille-et-Vilaine) et vend son lait à Biolait.
Lactalis a négocié une baisse de 5 à 6 euros la tonne, qui passe ainsi sous la barre de 470 euros. « Ma coopérative, Agrial, nous a dit qu’elle allait sans doute devoir baisser le prix du lait payé au producteur d’ici la fin de l’année », rapporte à Reporterre Samuel Bulot, éleveur à Pralon (Côte-d’Or) et vice-président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Par ailleurs, Agrial, Sodiaal, Lactalis et Biolait n’accompagnent plus les conversions à l’agriculture biologique de leurs adhérents, c’est-à-dire qu’ils ne versent plus de complément de prix — « entre 30 et 60 euros par tonne », précise Charlotte Kerglonou — pendant les deux à trois ans que dure la conversion, en plus des aides publiques de la politique agricole commune (PAC). « Les coopératives ont procédé aux conversions de manière prudente, en accord avec le marché. Nous appelons l’ensemble des opérateurs à faire de même », a ainsi déclaré Damien Lacombe, président de la Coopérative laitière et de Sodiaal, lors d’une conférence de presse le 7 septembre dernier.
- Certains estiment que la part de marché de la bio aurait atteint un palier, et serait même en régression dans certains pays. Unsplash/Stijn te Strake
Comment en est-on arrivé là ? La production de lait bio a bondi en 2021 : +11 % en mars par rapport à mars 2020, +11,2 % en avril, +17 % en mai et +16,2 % en juin, d’après l’enquête mensuelle laitière de FranceAgriMer (août 2021). Première explication, l’arrivée massive de nouveaux producteurs. « En juin 2021, on comptait 4 100 points de collecte de lait bio. En 2013, à la même période, ils étaient entre 2 000 et 2 100 », indique à Reporterre Gérard You, chef du service économie des filières à l’Institut de l’élevage (Idele). Les volumes de lait collectés ont crû plus rapidement encore, passant de 277 millions de litres en 2010 (1,2 % de la collecte nationale de lait), à 571 millions en 2015 — année noire de la crise du lait conventionnel — puis à 1,11 milliard (4,6 % de la collecte) en 2020. « Le nombre d’exploitations en lait bio a fortement progressé grâce à la dynamique de la demande, alors même que le secteur du lait de vache perd chaque année 4 % de ses exploitations du fait des cessations d’activité et des regroupements, poursuit M. You. En outre, les éleveurs qui se convertissent aujourd’hui ont des structures plus grosses que les éleveurs bio historiques. » Et la croissance n’est pas finie : « 240 millions de litres supplémentaires vont affluer dans les dix-huit prochains mois, à la faveur des conversions. […] On devrait atteindre 1,35 milliard de litres collectés d’ici à la fin octobre, soit une hausse de 24 % par rapport à 2020 », a annoncé Damien Lacombe.
Exceptional quantity and quality of grass
Ces producteurs plus nombreux ont bénéficié ces derniers mois d’une quantité et d’une qualité d’herbe exceptionnelles, qui ont dopé la production laitière. « L’été a été pourri, notamment sur les zones de production laitière biologique, ce qui a favorisé la pousse continue d’une herbe de qualité, explique M. Guihery. Ça n’avait pas été le cas les trois ou quatre années précédentes, où nous avons plutôt subi sécheresses et fortes chaleurs, surtout dans le Centre et le Grand Est, où les productions ont été amoindries. » D’ailleurs, la surproduction de lait bio au printemps n’a rien d’exceptionnel ; elle est même structurelle, dans des élevages où l’alimentation des bêtes est quasi exclusivement composée d’herbe et de fourrage. « Tous les ans, y compris les années de sous-production, nous connaissons un déclassement en avril, mai et juin », dit l’éleveur mayennais.
La consommation, en berne, n’a pas pu absorber cette grande marée de lait bio. Au premier semestre 2021, les ventes de fromages bio ont reculé de plus de 4 %, les crèmes bio de 9,6 % et le lait bio de 8,6 % par rapport à l’année précédente. « C’est l’effet déconfinement, analyse M. You. Au printemps 2020, les gens télétravaillaient et consommaient à domicile. Cet épisode a été très favorable au bio. » Avec la réouverture des restaurants et des services de restauration collective, la tendance s’est inversée. « Ces acteurs achètent à nouveau, mais des produits classiques, pas des produits bio, qui coûtent plus cher », note l’économiste. Par ailleurs, les produits laitiers bio subissent la concurrence d’une myriade de nouveaux labels : lait de pâturage, équitable, à haute valeur environnementale (HVE), etc. « On assiste à une “sur-segmentation” du marché, observe Mme Kerglonou. Cela perd le consommateur qui ne voit plus trop la différence du bio. »
20 % de produits bio dans la restauration collective publique à partir de 2022
Le ralentissement de la consommation sera-t-il temporaire ou durable ? Sur ce point, les avis divergent. « L’explosion de 2020 mise à part, la croissance de la consommation de produits bio se poursuit normalement », assure M. Guihery. Mais selon Emmanuel Besnier, patron de Lactalis, la bio « aurait atteint son palier à 15 % du marché » et serait même « plutôt en régression dans certains pays ». Des leviers existent cependant pour encourager la demande. La loi Égalim, adoptée en 2018, prévoit l’obligation de 20 % de produits bio dans la restauration collective publique à partir de 2022. « C’est demain, se réjouit M. Guihery. Et les produits laitiers bio restent peu chers et peu compliqués à mettre en place, contrairement à la viande et aux légumes. Les industriels sont prêts. » Fin 2019, ce secteur ne travaillait qu’avec 4,5 % de produits bio.
Pour le référent lait à la Fnab, il est urgent de communiquer davantage sur les produits laitiers bio. « Tout le monde, au Cniel [Centre national interprofessionnel de l’économie laitière] bio, est d’accord pour dire qu’il faut mettre de l’argent là-dessus. Mais alors que la filière paie plus de 2 millions d’euros de cotisations chaque année, son budget communication n’est que de 200 000 ou 300 000 euros, 400 000 euros les bonnes années », grince-t-il.
- Des vaches de race montbéliarde. La Confédération paysanne propose d’associer des mesures d’aide financière d’urgence à des incitations à la baisse de la production. CC BY-SA 3.0/Wikimedia Commons/Vincent Anciaux
Mme Kerglonou, elle, insiste sur les aides de court terme à apporter aux éleveurs bio dont les revenus sont en baisse, et pourraient baisser encore avec la disparition des aides au maintien dans l’agriculture biologique. « À la Confédération paysanne, nous plaidons pour des mesures d’urgence : application immédiate du tunnel de prix prévu dans la loi Égalim et qui devait être mis en place en janvier, incitations financière aux éleveurs pour qu’ils baissent leur production en protégeant les premiers volumes — quand on est deux associés, ce n’est pas la même chose de se voir contraindre de baisser sa production de 10 % quand on produit 500 000 litres de lait par an que quand on en produit 190 000 litres. »
Cette question de la limitation des volumes divise. « On est en plein dans le résultat de la suppression des quotas, déplore M. Collorec. Les quotas étaient sans doute trop rigides mais il y avait sans doute la possibilité de trouver un système plus souple. Là, on a jeté le bébé avec l’eau du bain. » Mais pour M. Guihery, « personne ne voudra d’un contingentement de la production de lait bio. Depuis vingt ans que je suis en bio, nous avons toujours été tiraillés entre l’offre et la demande. Mais si on attend toujours que le marché décide, on ne développera jamais la bio. » À peine l’éleveur mayennais consent-il à une diminution de la production au printemps, à l’échelle des fermes. « Il ne faut pas non plus que l’effort repose uniquement sur les paysans, juge-t-il. Il existe plein de matières de stocker du lait : le fromage, la poudre de lait, le lait stérilisé UHT… »
Quoi qu’il en soit, l’enjeu de sortir de cette crise par le haut est vital pour la filière. « Il ne faut pas baisser les bras. Près de la moitié des éleveurs laitiers vont partir à la retraite dans les prochaines années, rappelle M. Bulot. Il faut motiver les jeunes, garder une dynamique qui leur donne envie de s’installer. »
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