Dolly Parton : "Ma poitrine est une arme de distraction massive "
«S'il fallait que je me décrive moi-même à quelqu’un qui ne m’a jamais vue, je dirais : “Du calme, n’ayez pas peur, c’est juste moi. Je sais que mon apparence est totalement bizarre et superficielle, mais, à l’intérieur, je suis parfaitement authentique.”» À 75 ans, la star de musique country Dolly Partonn’a rien perdu de son talent pour l’autodérision. Elle sait bien que son physique de poupée gonflable - prothèses mammaires en suspens sur une taille de guêpe, panoplie de perruques blondes, maquillage outré sur Botox - invite à la raillerie. Elle n’en a cure. «Rira bien qui rira le dernier» est sa devise. Comme le précise Jane Fonda, fan inconditionnelle depuis le tournage en 1980 du film Comment se débarrasser de son patron (9 to 5,en anglais), où les deux femmes interprètent des secrétaires : «Sous-estimez Dolly à vos dépens. Elle est absolument brillante.»
À la célèbre journaliste Barbara Walters qui lui lance un jour : «Vous êtes une belle femme, vous n’êtes pas obligée d’utiliser tous ces artifices», Dolly Parton rétorque sans se démonter, sourire angélique aux lèvres : «C’est exact, c’est un choix. Je n’aime pas être comme tout le monde. Je ne m’abaisserais jamais à suivre la mode. C’est bien trop simple ! Non, j’ai choisi un look pour au minimum attirer l’attention. Une fois que les gens sont revenus du choc causé par ma ridicule apparence, ils comprennent qu’il y a des côtés de moi qu’ils peuvent apprécier.» «Mais avez-vous parfois l’impression d’être la risée de certains ?», insiste Barbara Walters. «Oh, je sais bien qu’ils se moquent de moi. Mais je sais exactement ce que je fais, et puis j’ai le pouvoir de changer à n’importe quel moment si j’en ai envie.»
Ceux qui essaient, pour se payer sa tête, de piéger Dolly Parton, se cassent immanquablement les dents sur son humour décapant. Ses reparties, pleines d’esprit, sont légendaires. Alors qu'Oprah Winfrey tente, lors d’une émission, de la pousser dans ses retranchements pour la désarçonner, Dolly lance en riant : «Que voulez-vous, je suis un animal de foire qui a besoin d’une maintenance continue. J’aime dire que ma poitrine est une arme de distraction massive.»
Le corps comme une armure
Le message est clair : «Ma physionomie est mon problème. J’en dispose à ma guise», répète-t-elle à longueur d’interviews. Chaque matin, la chanteuse sélectionne son accoutrement et en fait son armure. Les perruques lui servent à éviter l’application sur son scalp des produits chimiques nocifs contenus dans les teintures et les permanentes. Personne ne l’aurait jamais vue au naturel. Pas même Jane Fonda, qui a pourtant séjourné dans sa maison du Tennessee.
Il est vrai qu’a priori l’aspect clownesque de Dolly Parton est déconcertant. Il peut même étouffer dans l’œuf l’envie d’en savoir plus sur cette femme exceptionnelle. Parolière prolifique à l’énorme talent, elle a composé plus de 3 000 chansons, dont la plus célèbre, I Will Always Love You (souvent attribuée à tort à Whitney Houston), est devenue un classique. Contrairement à ce qu’on croit souvent, cette chanson n’est pas une ode à l’amour mais une «lettre» de démission écrite en 1974 pour son employeur de l’époque, le chanteur de country Porter Wagoner, qui lui a donné sa chance sept ans plus tôt dans son émission télévisée, a fait d’elle une star et dont elle cherche désespérément à se séparer pour faire cavalier seul. «Porter refusait de comprendre, alors, un soir, j’ai composé cette chanson qui était la seule façon de me faire écouter de lui», expliquera-t-elle.
En solo, Dolly Parton connaît un immense succès. Au cours d’une carrière de bientôt cinquante ans, elle a vendu plus de 100 millions d’albums et amassé une fortune de 350 millions de dollars. Malgré tout, elle continue d’être une fille des Smoky Mountains du Tennessee, où elle a grandi au milieu de onze frères et sœurs dans un chalet rudimentaire. Une enfance pauvre mais merveilleuse, idyllique même, passée au milieu de musiciens amateurs de bluegrass (style de musique country, NDLR) dont elle parle avec une remarquable poésie : «Si je ferme les yeux, je vois la brume sur les sommets, les merles bleus sur les piquets de clôture, les prairies où foisonnaient les bois de fer violets (iron wood,ou Olneya tesota, une plante locale, NDLR) et les marguerites sauvages. J’aime plaisanter en disant que nous avions deux pièces et l’eau courante… Du moins si vous étiez prêts à courir pour aller la chercher.»
L’hiver, les enfants du pays confectionnent des glaces en mélangeant neige, vanille, lait et sucre. Pour divertir son entourage, Dolly compose des ballades qu’elle chante au «micro» d’une boîte de conserve fixée sur une badine. Convaincu de son talent, un oncle lui offre une vieille guitare, lui en apprend les rudiments. À 10 ans, elle paraît en public pour la première fois dans une émission télévisée locale, le Cas Walker Show. Elle sait alors qu’elle brillera un jour comme une star, quoi qu’en pensent ses camarades de classe, qui affirmaient à cette époque qu’elle était l’élève la «moins susceptible de réussir dans la vie». «Rira bien qui rira le dernier»…
Sainte Dolly ?
Dolly Parton est devenue une icône. À la fois sûre d’elle et pleine d’humilité, gentille, accessible… Presque une sainte aux yeux de ses fans, car elle donne beaucoup d’elle-même. On ne compte plus ses œuvres caritatives.
L’une d’elles, l’Imagination Library (la Bibliothèque de l’imagination), lancée dans son comté natal de Sevier en 1995, consiste à distribuer un livre gratuit par mois à chaque enfant jusqu’à son entrée à l’école publique. «C’est l’œuvre dont je suis le plus fière, dit-elle. Mon père, comme de nombreux membres de ma famille, était analphabète. Ils n’avaient pas accès à l’éducation. C’était des gens de la montagne qui devaient travailler tôt. Heureusement, lui a vécu assez longtemps pour voir le succès du programme.» Un succès si grand que l’Imagination Library est bientôt étendue à l’État, puis au pays, et enfin au monde anglophone. Cent millions de livres ont été distribués. Devenus lycéens, les enfants de Sevier bénéficient depuis 1988 du Buddy Program de la Dollywood Foundation, qui les encourage à poursuivre leurs études jusqu’au bac en les récompensant d’un chèque de 500 dollars s’ils y parviennent.
Dolly Parton est ainsi responsable à elle seule d’une baisse de 6 % du taux d’abandon des études secondaires. Un autre programme, MyPeople, a permis de collecter près de 9 millions de dollars répartis entre les victimes d’incendies les plus démunies. Plus récemment, elle a participé au financement de la recherche et du développement du vaccin Moderna via un don de 1 million de dollars. Cet effort a été suivi d’une vidéo de sa propre vaccination, accompagnée d’un sermon pro-vaccin espérant servir d’exempleaux «lâches qui ont peur d’une piqûre». Dans le Sud ultraconservateur pro-Trump et anti-vaccin, cette prise de position a été jugée très courageuse.
Intrépide et engagée, Dolly Parton s’est pourtant toujours défendue de l’être, préférant n’être porteuse d’aucune étiquette et n’offenser personne, en particulier ses fans, même s’ils se recrutent désormais dans toutes les couches de la société, tous les âges, tous les sexes. Ses chansons parlent pour elle. Des ballades simples, chantées d’un air innocent, d’une voix aiguë et nasillarde, mais qui, néanmoins, délivrent un message puissant, sans équivoque.
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Amoureuse et féministe avant l’heure
Dans les années 1960, trois chansons font de Dolly Parton une féministe avant l’heure : Just Because I Am a Womandénonce l’inégalité des sexes ; Dumb Blond insiste sur le fait qu’elle n’est la dinde de personne, et surtout pas d’un homme ; The Bridge aborde le grave sujet d’une grossesse non désirée à l’adolescence. Des sujets non seulement tabous pour l’époque mais très hardis pour une chanteuse de country, un genre musical né dans le Sud réactionnaire, principalement peuplé d’hommes peu disposés à partager le pouvoir avec une femme. Et pourtant, lorsque le mouvement féministe essaie de coopter Dolly, elle refuse, avec sa note d’humour habituelle. Interviewée à la télévision, elle s’en sort par une de ces pirouettes dont elle a le secret : «Lorsque le mouvement de libération féminine a été lancé, j’ai dit que j’avais été la première à brûler mon soutien-gorge et que les pompiers avaient eu besoin de trois jours pour l’éteindre.» En 1980, la chanson du film 9 to 5,qu’elle exige de composer, s’en prend cette fois au harcèlement sexuel.
Si elle semble se rebiffer contre un féminisme qu’elle a d’autre part toujours pratiqué dans sa vie privée ou professionnelle, c’est que Dolly Parton ne tient pas à diaboliser le sexe opposé. «Je connais les hommes, j’ai grandi avec eux, entre mes frères, mon père et mes oncles. Et au final, j’ai connu plus d’hommes bons que de mauvais», déclare-t-elle. Son mari, Carl Dean, rencontré dans une laverie automatique le jour même de son arrivée à Nashville, en 1966, alors qu’elle a à peine 18 ans, est un tel mystère que, pendant des années, le public s’est demandé s’il existait vraiment. Personne ou presque n’a jamais rencontré cet homme d’affaires spécialisé dans l’asphalte qui déteste être sous les projecteurs. Le couple n’a pas d’enfant. «Je crois que Dieu l’a voulu ainsi afin que tous les enfants puissent aussi être les miens, que je puisse me consacrer à des œuvres comme l’Imagination Library, car si je n’avais pas joui de la liberté de travailler, je n’aurais jamais pu faire tout ce que j’ai fait.»
À écouter : le podcast de la rédaction
Mais Carl et Dolly filent le parfait amour depuis bientôt cinquante ans. Car ils ont su préserver leur intimité et permettre à Dolly de se consacrer à ce qui lui tient à cœur : faire, l’air de rien, passer des messages, apporter sa pierre à l’édifice. Si bien qu’un cours du département de lettres du campus de Knoxville de l’université du Tennessee lui est consacré. Son nom ? Dolly Parton’s America. Son objectif ? «Donner aux étudiants l’occasion d’explorer l’impact culturel et historique de cette légende de la musique country.»