Parlez-vous le «woke»? Fermer le panneau Ouvrir le panneau Plume Le Figaro App -icon - 512px V1 1 - Style/Logotypes/Le Figaro/Apps/jeux
Le mouvement «woke» use d’un vocabulaire bien précis. Décryptage de ces mots qui s’ancrent dans le paysage linguistique français.
Qu’est-ce que le «wokisme»? Qui sont ces «wokes», qui parlent «d’intersectionnalité», de «cancel culture» et «d’appropriation culturelle»? Que signifient les mots «adelphité», ou «whitewahsing»? Ce mouvement, né aux États-Unis, s’articule autour d’un ensemble de termes spécifiques, empruntés à l’anglais, à des concepts sociologiques ou qui remontent parfois à la Grèce Antique. Le Figaro revient sur ce jargon, souvent abscons, qu’il convient de maîtriser pour comprendre les enjeux idéologiques qu’il désigne.
●Woke
Issu de l’anglais, le mot «woke» signifie proprement «éveillé». Il est utilisé en tant que formule aux États-Unis dans les communautés afro-américaines tout au long du XXe siècle. «Being woke» signifie alors: «être éveillé» aux injustices sociales qui pèsent sur ces communautés. Le phénomène «woke» s’est popularisé en 2008, ainsi que le souligne Pierre Valentin dans son étude «L’idéologie woke. Anatomie du wokisme» , par le biais d’une musique. Georgia Anne Muldrow chante alors: «I stay woke» (Je reste éveillée). Interrogée sur le sens de ce mot, elle répond: «Être woke est définitivement une expérience noire […]. [C’est] comprendre ce que vos ancêtres ont traversé. Être en contact avec la lutte que notre peuple a menée ici et comprendre que nous nous battons depuis le jour où nous avons atterri ici.» Le mot a ensuite été repris par le mouvement «Black Live Matter» et son sens s’est élargi: «être woke» aujourd’hui englobe tout ce qui est relatif aux injustices et oppressions, dont le combat est porté en étendard par ses adeptes. Les «dominés» doivent «s’éveiller», c’est-à-dire se libérer et combattre les «dominants» qui usent de leurs privilèges sur eux.
●Intersectionnalité
Ici encore, il s’agit d’un rapport entre «oppresseurs» et «opprimés». L’intersectionnalité, mot encore absent des dictionnaires, appartient au domaine sociologique et de psychologie sociale. Si l’on se réfère à l’Office de la langue française au Québec, ce concept aurait été décrit par la juriste afro-américaine Kimberlé Williams Crenshaw, en 1989, «pour parler plus spécifiquement de la réalité des femmes noires qui subissaient à la fois les effets du sexisme et ceux du racisme.» Plus globalement, «l’intersectionnalité» désigne les différentes formes de «domination ou de discrimination vécues par une personne». Elles peuvent être fondées «sur sa race, son sexe, son âge, sa religion, son orientation sexuelle, sa classe sociale ou ses capacités physiques, qui entraîne une augmentation des préjudices subis.» En résumé, le mot englobe toutes formes de luttes, fondées sur toutes formes «d’oppressions» qui dénoncent l’ensemble des «oppresseurs». Pour tenter de retrouver une étymologie au mot, soulignons que «inter» est emprunté du latin inter , «entre, parmi» et que «section» vient du latin sectio , «action de couper, coupure, amputation», puis, en géométrie, «division», et enfin «schisme».
● Appropriation culturelle
Récemment, la chanteuse «Christine and the Queens», qui s’est rebaptisée «Christine», puis il y a quelques jours «Rahim», a été accusée «d’appropriation culturelle» par des internautes sur Twitter. On lui a reproché de «s’approprier» un nom d’origine arabe (qui signifie «compatissant»), faisant par là, preuve d’autorité abusive sur une culture qui n’est pas la sienne. L’appropriation culturelle est, ainsi que la définit l’Office québécois de la langue française, «l’utilisation, par une personne ou un groupe de personnes, d’éléments culturels appartenant à une autre culture, généralement minoritaire, d’une manière qui est jugée offensante, abusive ou inappropriée.»
●Déconstructivisme
Ce mot vient d’un courant architectural qui émerge à la fin du XXe siècle, qui «vise à repenser la variété des formes géométriques en remettant en question les canons architectoniques», note le Larousse. Fortement influencé par Derrida, «philosophe de la déconstruction», le «déconstructivisme» est aujourd’hui largement employé par les «wokes». Que veulent-ils déconstruire? Sandrine Rousseau, ancienne candidate à la primaire écologique, affirmait fin juillet dans l’émission hebdomadaire «BackSeat» sur Twitch qu’elle «ne faisai[t] pas confiance à des hommes politiques, en l’occurrence des hommes qui n’ont pas déconstruit (…)» puis sur LCI, le 22 septembre, «vivre avec un homme déconstruit» et en être «hyper heureuse». Comprendre ici un homme, et plus généralement les personnes dites «privilégiées», qui cherchent à se défaire de ses privilèges et d’un ensemble d’habitudes que la société leur a accordées. Le «wokisme» entend ainsi «déconstruire» les discriminations et les inégalités en se débarrassant des «stéréotypes de genre».
● Racisé / trans-racialisme
Reprenons l’exemple de la chanteuse Christine and the Queens (qui a de nouveau changé son nom de scène en: «.»). Non seulement accusée «d’appropriation culturelle», on lui a reproché de faire du «trans-racialisme», c’est-à-dire, ainsi que l’a précisé Benjamin Sire dans un article du Figaro , «de préhension d’une identité raciale autre que celle que l’on porte à la naissance.» On retrouve le mot dans les colonnes du Robert: «Personne touchée par le racisme, la discrimination.»
●Adelphité
Ce mot est l’apanage d’un féminisme dit «intersectionnel» (qui englobe toutes les discriminations faites aux femmes). Il revendique de parler «d’adelphité», plutôt que de «sororité» au sujet des femmes, dans un souci de plus grande «inclusivité». «Adelphe» vient du grec «adelphos», qui signifie «de frère ou de sœur». Il désigne littéralement «qui est frère issu de la même mère, ayant sucé le même sein», selon le Trésor de la langue française. Il englobe donc le frère («fraternité») et la «sœur» («sororité»), sans faire aucune distinction de genre. Parler «d’adelphité» permettrait donc d’inclure les hommes et les femmes sans les différencier par leur sexe.
●Black-face/white washing
Se grimer le visage en noir, que ce soit pour jouer un personnage noir au théâtre, au cinéma, ou en guise de déguisement, quand on est blanc, est une pratique dénoncée par les «wokes» sous l’anglicisme «black face», soit «visage noir». Cette pratique, très en vogue dans les vaudevilles français de la fin du XVIIIe siècle, a été imaginée, ainsi que le précise l’historienne des arts du spectacle et auteur de Race et théâtre: un impensé politique (Actes Sud-Papiers, 2020) Sylvie Chalaye sur France Culture… par les esclaves eux-mêmes. Au XVIIe siècle, «dans les plantations américaines, les maîtres demandaient à leurs esclaves de jouer des saynètes pour les divertir». Ils s’exécutaient, en insérant dans leur jeu une satire du traitement infligé par leurs maîtres, sans que ces derniers ne s’en rendent compte. Le «black face» a été popularisé aux États-Unis sous le nom de «ministrel shows», puis s’est exporté en Europe. Aujourd’hui, le «black face» est jugé «raciste» et marqueur «d’appropriation culturelle». Soulignons l’existence d’un autre concept, le «whitewashing», également combattu par le «wokisme», qui consiste à reprocher à des acteurs blancs d’incarner des rôles de personnes noires.
● Cancel culture
La «cancel culture», en français «culture de l’effacement» , préconise «d’effacer», ou de «boycotter» dans l’espace public les statues, les œuvres littéraires et artistiques ou les personnalités jugées «racistes, sexistes ou homophobes». Récemment, le maire socialiste de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol a proposé de remplacer la statue de Napoléon qui trône sur la place de l’Hôtel-de-ville par une effigie de Gisèle Halimi, «figure de la lutte pour les droits des Femmes». Essuyant une grêlée de critiques, il s’est défendu sur Twitter qu’il ne voyait pas pourquoi «les lieux les plus visibles et les plus symboliques, tels la place de l’HdV, devraient être réservés à des hommes.»