Réouverture des boîtes de nuit et des karaokés « Il était temps que ça arrive ! »
Le 15 novembre, enfilez vos plus beaux souliers et faites vos vocalises : Québec a donné le feu vert, mardi, à la réouverture des pistes de danse et des karaokés. Après des mois de revendications, l’industrie nocturne pousse un soupir de soulagement.
Publié le 2 nov. 2021Léa Carrier La PresseCharles-Éric Blais-Poulin La Presse« Il était temps que ça arrive ! », lance Nic Urli, qui a collaboré à l’ouverture du speakeasy Club Velvet et de la boîte de nuit Flyjin.
Ces dernières semaines, l’oiseau de nuit revendiquait le droit de danser — interdit par décret depuis juin 2020 — pour la survie de son industrie. Il avait même confié à La Presse, à la fin octobre, qu’il songeait à la désobéissance civile « si les pistes de danse ne [rouvraient] pas ».
L’interdiction de danser sera levée le 15 novembre, avec obligation du port du masque, a annoncé mardi le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, dans une série d’allègements sanitaires. Il sera aussi permis de participer à des activités de karaoké, selon certaines consignes sanitaires. Dans les salles de spectacles, le public pourra rester debout, sans place assignée, un assouplissement qui touche surtout les lieux indépendants.
Nous étions dans les dernières grandes villes au monde à interdire la danse. Je crois que nous avons bien fait de manifester et de demander des changements. [Je suis fier] de notre industrie. Là, nous devons remonter la pente !
Nicolas Urli, propriétaire du Velvet et du Flyjin
Tommy Piscardeli, propriétaire du Stereo, haut lieu de la nuit montréalaise, voit aussi l’annonce d’un bon œil, bien qu’il émette certaines réserves.
« C’est un pas vers l’avant. Côté masque, ce sera un peu dur de contrôler des grosses foules. On regarde le Centre Bell, par exemple, et les gens ne portent pas tous des masques. On va faire notre possible, mais ça va être très difficile à contrôler », dit-il.
« L’autre combat » qu’il aura à mener, ce sera de ramener sa clientèle qui, au cours des derniers mois, s’était réfugiée dans des lieux clandestins pour assouvir sa soif de danse.
« Les gens ont tellement de libertés dans ces évènements. Pas de masque, pas de passeport vaccinal. J’espère qu’on va être capables de ramener notre clientèle et qu’elle soit d’accord pour respecter les règlements », craint-il.
Place aux DJ
Selon Anthony D’Urbano, promoteur de concerts électros et gestionnaire de la communauté FrontRite, la date du 15 novembre circulait depuis plusieurs semaines.
Nous l’avons joint à Toronto, où il est allé prendre le pouls de la scène pendant l’Halloween. « Les clubs sont pleins et les gens dansent », observe-t-il, heureux de savoir que Montréal emboîtera le pas.
« C’est impossible d’être déçu de cette nouvelle, renchérit le DJ CRi. Ça fait deux ans qu’il ne se passe rien. Le Québec ne sera plus l’exception à la règle. »
Pendant les tergiversations de la Santé publique, une scène clandestine a pris de l’ampleur à Montréal par le truchement des réseaux sociaux. Anthony D’Urbano trouvait parfois crève-cœur de voir les promoteurs légaux tenus à l’écart.
Je comprends, parce que les gens avaient besoin de danser, mais on ne pouvait pas faire partie de cette gang-là qui organise des évènements illégaux. Ça fait trop d’années qu’on roule et qu’on est connus.
Anthony D’Urbano, promoteur de concerts électros et gestionnaire de la communauté FrontRite
Est-ce que les fêtards accepteront de garder un masque sur leur visage toute la nuit ? Anthony D’Urbano en doute. « Danser dans un espace légal où tout le monde est doublement vacciné, avec ou sans masque, c’est 1000 fois mieux que de danser dans une salle illégale où aucune loi n’est respectée. »
CRi, qui transporte régulièrement ses consoles aux États-Unis, a offert une performance devant des spectateurs masqués dans une seule ville, Seattle. « Ça marchait très bien. Les gens semblaient avoir du plaisir. Par contre, quand tu commandes un verre et que tu prends une gorgée, tu n’as pas ton masque. Est-ce que c’est mieux de ne pas en avoir du tout ou de se mettre la main dans la face toutes les deux secondes ? Je ne sais pas. »
Le DJ croise les doigts pour qu’aucune nouvelle vague au printemps ne vienne entacher sa tournée québécoise. « Enfin, la vie nocturne va pouvoir reprendre, en espérant que, pour la suite des choses, on la considère un peu plus comme médium culturel. »
Chanter à tue-tête
Outre les discothèques, les bars de karaoké pourront eux aussi rouvrir leurs portes. Ces lieux festifs avaient eu mauvaise presse après qu’une éclosion de COVID-19 eut engendré 72 cas et 1 décès, en août 2020.
« On est agréablement surpris, parce qu’on entendait parler d’une reprise en décembre », explique Pascal Lefebvre, propriétaire de la Taverne Le Normandie, dans le Village. L’établissement présentait des évènements de karaoké sept soirs sur sept avant que tout bascule. « On a dû se réinventer avec de l’impro, des quiz, des chansonniers, mais c’est certain que ça n’attirait pas le même nombre de personnes. »
La Taverne Normandie pourra enfin répondre positivement aux nombreux clients qui appellent pour demander si le karaoké sera de retour pour les partys de bureau. « On est très heureux et on est prêts », assure-t-il.
Les chanteurs d’un soir devront porter un couvre-visage s’ils ne peuvent pas respecter la distanciation physique de 2 mètres, un moindre mal. « À l’été 2020, il n’y avait personne de vacciné et on faisait du karaoké avec des mesures plus exigeantes que celles qui nous seront demandées. Ça va être facile pour nous de s’adapter. »
Parterres au maximum de leur capacité
Les annonces de mardi touchent aussi les salles de spectacles qui ne sont pas dotées de sièges fixes. À partir du 15 novembre, elles pourront ouvrir en formule cabaret ou debout au maximum de leur capacité. Le masque et le passeport vaccinal, encore une fois, seront prescrits.
« On attendait ça depuis plusieurs semaines, se réjouit Jon Weisz, directeur général des Scènes de musique alternatives du Québec. Par contre, il reste de petites failles, comme chaque fois que l’on annonce de nouvelles mesures. »
Par exemple, les salles qui souhaitent conserver une formule cabaret distanciée — telle qu’affichée à la vente du spectacle — devront tout de même imposer le port du masque. « Ce n’est pas le format qui a été promis aux acheteurs de billets. Ça cause un peu de frictions. Dans les bars ou les restos, une fois qu’on est assis, on peut retirer le masque. »
Le cas des soupers-spectacles est lui aussi « très compliqué », note M. Weisz. « Il y a différentes règles conflictuelles que l’on doit préciser. Ce n’est pas clair. »
Finalement, la distanciation physique ne sera plus obligatoire dans les grands évènements comme les festivals, qui pourront retrouver leur capacité normale à partir du 15 novembre.
L’annonce tombe juste à point, se réjouit Martin Roy, PDG du Regroupement des évènements majeurs internationaux, en plein préparatif pour la saison hivernale. Elle s’ouvrira à la mi-janvier avec l’Igloofest, suivi du Carnaval de Québec et de Montréal en lumière.
« Ces évènements avaient besoin de savoir dans quelle case ils allaient pouvoir se dérouler. C’est vraiment une bonne nouvelle. Et puis, imaginez le déneigement de toutes les zones indépendantes ! », s’exclame Martin Roy.
Et s’il est trop tard pour l’été qui vient de passer, la prochaine saison estivale peut être sauvée. « On sait vers quoi on s’en va, et c’est rassurant. On peut peser sur le gaz pour l’été. »