De boue, de gazon et de plastique : anthologie du terrain

De boue, de gazon et de plastique : anthologie du terrain

Pensez à une pelouse où se joue un match de haut niveau, il y a de grandes chances que vous voyiez un billard, quelles que soient la météo ou la saison.

Les pelouses ont tellement progressé ces dernières années qu'on a du mal à se souvenir des champs de patates ou des surfaces de réparation sablonneuses à souhait qui faisaient pester les joueurs il n'y a finalement pas si longtemps. L'amélioration spectaculaire des terrains a incontestablement aidé, en outre, à faire évoluer le jeu.

"Aujourd'hui, on joue à haut niveau beaucoup plus vers l'avant qu'il y a 30 ans, en partie en raison de l'interdiction de la passe au gardien, qui a été instaurée en 1992, mais largement aussi en raison de l'amélioration massive des pelouses", écrivait l'ancien entraîneur au long cours de Manchester United, Alex Ferguson, dans son livre "Manager pour gagner". "Les joueurs évoluent aujourd'hui sur des scènes propices à la performance. Par conséquent, je dirais que les joueurs doivent courir 15% de plus aujourd'hui que dans les années 1960."

Jonathan Calderwood bichonne la pelouse du Parc des Princes©Getty Images

Difficile de contredire Sir Alex. Ce ne sera d'ailleurs pas le cas de Jonathan Calderwood, jardinier en chef du Paris Saint-Germain. Après 25 ans dans le football, il voit les choses de la même manière.

"À l'époque, tout ce que vous pouviez faire, c'était préparer la pelouse du mieux que vous pouviez", dit-il. "La couper, la marquer et l'embellir au maximum et ça n'allait pas plus loin. Aujourd'hui, il faut qu'elle serve au maximum aux joueurs et il faut donner à l'entraîneur la pelouse qu'il veut, quel que soit le style de jeu qu'il applique."

"On doit veiller à la rapidité de la pelouse, à l'arrosage, à la hauteur de tonte, à la souplesse, à l'adhérence – pour savoir si les joueurs peuvent glisser... etc. Le moindre défaut peut coûter des dizaines de millions au club."

De la boue au synthétique

Cette recherche de la perfection du terrain est un phénomène relativement nouveau. Lorsque Bill Shankly est devenu entraîneur de Liverpool, il a demandé au responsable de la pelouse d’Anfield où était le système d’arrosage et on lui a répondu qu’il n’y en avait pas. À cette époque, les clubs utilisaient des braseros ou des lance-flammes pour dégeler un terrain. Un autre club anglais, Halifax Town, a même réagi à l’hiver glacial de 1963 en ouvrant son terrain au public pour en faire un patinoire.

Les premières expériences sur les surfaces synthétiques datent des années 1980, quand Queens Park Rangers et Luton Town sont entrés dans l’histoire comme les premiers clubs de football d’élite à jouer sur des terrains synthétiques dans une ligue européenne inférieure.

De boue, de gazon et de plastique : anthologie du terrain

Deux clubs de ligue mineure, Oldham Athletic et Preston North End, ont suivi, même si, au moment où Oldham a été promu avec un terrain en gazon synthétique 2G en 1991, les règles avaient changé et il a dû revenir au gazon naturel. Depuis l'évolution a été immense.

Spartak - Sporting Portugal sur une pelouse artificielle en 2006©Getty Images

L'UEFA a lancé son projet Pelouse artificielle en 2003 et trois ans plus tard un premier match de phase de groupes de l'UEFA Champions League avait lieu sur synthétique quand le Spartak Moscou recevait le Sporting Lisbonne au Stadion Luzhniki. Un an plus tard, la Russie battait l'Angleterre 2-1 dans ce même stade, en éliminatoires de l'UEFA EURO 2008.

De nos jours, Andorre joue tous ses matches des éliminatoires européens sur une pelouse 3G, à l'Estadi Nacional, alors qu'au travers du continent des plastiques élaborés se rencontrent de plus en plus souvent sur des surfaces de jeu hybrides.

Au Parc des Princes, à Paris, il y a une pelouse hybride DESSO GrassMaster®, qui contient 3 % de fibres synthétiques et offre ainsi davantage de stabilité au terrain.

"Il y a 180 mm de fibres synthétiques sous la surface et 20 mm au-dessus de la surface", explique Calderwood. "Chaque fibre mesure donc 200 mm de long, et des fibres sont placées tous les 2 cm. Ce système renforce le terrain, les racines du gazon naturel poussant autour de ces fibres synthétiques.

La part de la pelouse synthétique semble faible, mais ces fibres plastiques représentent une masse qui se situe entre six et sept tonnes.

Les clubs continuent d'innover concernant l'entretien de la pelouse au sein de l'infrastructure du stade. Dans le nouveau stade de Tottenham, il y a trois couches séparées qui peuvent s'escamoter sous les tribunes et peuvent laisser place à une pelouse artificielle NFL. Les trois couches peuvent ensuite reprendre leur place sans que la pelouse soit endommagée.

Règlement

Les joueurs de Birmingham City félicitent Bob Latchford (9) après un but par temps humide en 1972©Getty Images

"La longueur maximale du terrain doit être de 200 yards (182,88m) et la largeur de 100 yards (91,44m)."

C'est ainsi que les dimensions d'un terrain de football réglementaire ont été consignées en 1863 dans la première version des Lois du Jeu.

Cette disposition étonnamment floue autorisait des variations considérables entre les terrains. Un amendement apporté en 1897 précisait que les terrains devaient être d’une longueur de 91 à 119 mètres et d’une largeur de 46 à 91 mètres, bien qu’une plus grande précision soit requise pour les matches internationaux, à savoir 101 à 110 mètres de longueur et 64 à 73 mètres de largeur.

Aujourd’hui, les règlements des compétitions de l’UEFA ne ménagent pas autant de surprise, les terrains devant mesurer entre 100 et 105 mètres de long et entre 64 et 68 mètres de large.

D'autres réglements sont également en vigueur pour garantir la tenue et la consistance de la pelouse. La hauteur de coupe "ne doit pas excéder, en principe, les 30 mm" dans tout match UEFA, et la hauteur de l'herbe doit être la même sur toute la pelouse. Il est ainsi impossible de miser sur de longs ballons qui seraient freinés par de l'herbe plus haute près des buts.

Des dispositions précises réglementent également l’arrosage des terrains : "L’arrosage de la pelouse doit être uniforme et ne pas concerner uniquement certaines parties du terrain. En principe, l’arrosage de la pelouse doit être terminé 60 minutes avant le coup d'envoi. Toutefois, sur décision du club recevant, l’arrosage peut également avoir lieu après ce délai, à condition qu’il se déroule : (a) entre 10 et 5 minutes avant le coup d’envoi, et/ou (b) durant la mi-temps (la durée de l’arrosage ne doit pas dépasser 5 minutes)".

"Mes que un" pelouse

Johan Cruyff un maniaque des pelouses pour ses équipes©Getty Images

Au FC Barcelone, l’arrosage du terrain fait partie intégrante de la culture du club, au même titre que l’hymne. "Lorsque Johan Cruyff entraînait Barcelone, il inspectait la pelouse la veille des matches avec un instrument mesurant le taux d'humidité. Il demandait même une hauteur de coupe particulière", se souvient Ferguson dans son livre.

Avant la finale de la Ligue des champions en 1994 contre l’AC Milan à Athènes, l’entraîneur adverse, Fabio Capello, a refusé la demande d'arrosage du terrain adressée par le club catalan. La logique de l’Italien était claire : pourquoi offrir à la Dream Team une surface lisse sur laquelle développer son football dangereusement rapide ?

En effet, arroser le terrain juste avant le coup d’envoi permet au ballon de mieux fuser à chaque rebond. À l’époque de Pep Guardiola, le responsable pelouse entrait même dans le vestiaire à la mi-temps, armé des dernières prévisions météo, pour consulter le capitaine et un membre du staff technique sur le temps d’arrosage nécessaire à la pause.

La tactique se met au vert

Voilà qui nous ramène aux considérations d'Alex Ferguson sur les pelouses d'aujourd'hui. Leur influence sur le jeu ne fait aucun doute.

La rapidité et la qualitié des terrains font partie intégrante d'un spectacle proche du basketball qui nous est offert à l’heure actuelle, avec des matches marqués par des contre-attaques éclairs.

Difficile d'imaginer le tiki-taka cher à Guardiola sur les pelouses bosselées d'antan ou le pressing et les dédoublements des latéraux de Liverpool, sur des terrains synthétiques des années 1980 où le rebond haut du ballon pouvait déstabiliser les défenseurs les plus solides.

Les entraîneurs continuent d'innover avec une préférence pour les espaces et l'offensive dans l'élite du jeu européen. Un penchant auquel la constance et la fiabilité des pelouses ne sont sans doute pas étrangères. Alors que la technique continue d'évoluer, il sera fascinant d'observer les effets des nouvelles pelouses sur ce sport que nous aimons tant.

Cet article est une adaptation d'un article original publié dans le n°167 d'"UEFA Direct"