Au Brésil, précarité menstruelle rime avec système D
"Quand une couche de mon fils se déchire, je la transforme en serviette hygiénique". Comme des millions de Brésiliennes, Vanessa Moraes n'a pas les moyens de s'acheter des produits d'hygiène intime.
Ce sujet longtemps tabou a été propulsé au coeur du débat public au Brésil après le veto le mois dernier du président d'extrême droite Jair Bolsonaro à une loi qui prévoyait leur distribution gratuite aux populations pauvres.
"Les serviettes hygiéniques sont trop chères, alors je finis par utiliser des couches ou des chutes de tissus", confie Vanessa, 39 ans, habitante du Complexo do Alemao, une des plus grandes favelas de Rio de Janeiro.
Avec deux enfants de 11 et 12 ans à charge, cette femme noire aux longs cheveux châtains peine à joindre les deux bouts, même en cumulant son emploi de serveuse avec celui de conductrice de transport scolaire.
Son aîné, Hugo, est atteint de paralysie cérébrale et doit porter des couches culottes.
Mais dès que l'attache d'une couche se rompt, pas de gâchis, Vanessa la transforme en serviette hygiénique de fortune, la rembourrant parfois avec un morceau de tissu. "Il faut bien se débrouiller", soupire-t-elle.
Une étude publiée en septembre par la marque de produits hygiéniques "Sempre Livre" indique que 28% des femmes brésiliennes aux faibles revenus souffrent de "précarité menstruelle", à savoir des difficultés pour se procurer des serviettes ou tampons pendant leurs règles.
Selon l'antenne brésilienne de Girl Up, ONG fondée par l'ONU en 2010, une adolescente sur quatre dans le pays doit s'absenter de l'école plusieurs jours par mois, n'étant "pas en mesure d'avoir ses règles avec dignité".
- "Un paquet pour deux" -
Vanessa Moraes reçoit parfois des serviettes hygiéniques de la part de l'ONG "One by One", qui vient en aide aux familles ayant des enfants handicapés et fournit à ses bénéficiaires des fauteuils roulants ou des paniers repas.
L'une d'elles est Karla Cristina de Almeida, adolescente noire de 15 ans, qui vit à Maré, une autre grande favela du nord de Rio. Elle doit souvent partager le paquet qu'elle reçoit avec sa soeur.
"Parfois, on a un paquet pour deux, voire pas de paquet du tout. Dans ce cas, je ne vais même pas à l'école, j'ai déjà raté des cours à cause de ça", admet-elle.
Autre bénéficiaire, Miriam Firmino, 51 ans, a été contrainte d'utiliser des bouts de tissus à maintes reprises lors de ses règles depuis son adolescence, mais compte aujourd'hui sur des dons pour éviter que ses trois filles aient le même problème.
"Pour pouvoir acheter des serviettes hygiéniques, ils faut qu'elles soient en promo. Quand on n'a pas les moyens d'en acheter tous les mois, on fait comme on peut avec ce qu'on a", raconte-t-elle.
La précarité des familles n'a fait qu'augmenter avec la pandémie de coronavirus.
"À cause de la crise économique, beaucoup de femmes nous ont dit qu'elles avaient recommencé à utiliser des chutes de tissu, du coton, de la mie de pain, du papier ou autres quand elles avaient leurs règles", déplore Teresa Stengel, présidente de l'association One by One.
"Nous avons vu des cas d'infections. La précarité menstruelle est un problème de santé publique", alerte-t-elle.
Un projet de loi prévoyait justement la distribution gratuite de produits d'hygiène intime à plus de 5 millions de femmes, notamment des élèves issues de quartiers populaires et des détenues.
Mais le président Bolsonaro a opposé son veto : selon lui, le texte ne précisait pas de source de financement et le contraindrait à "retirer des fonds du budget de la Santé ou de l'Education".
Cette décision a déclenché une levée de boucliers, avec des réactions de nombreuses célébrités comme Preta Gil, fille du célèbre chanteur Gilberto Gil.
Des municipalités ont par ailleurs décidé de mettre en place des mesures similaires localement.
C'est le cas à Rio, avec un programme de distribution de 8 millions de serviettes hygiéniques par an à plus de 100.000 élèves d'écoles municipales.