J’ai retrouvé les filles qui m’avaient harcelée quand j’étais ado. Voici ce qu’elles avaient à dire - BLOG

J’ai retrouvé les filles qui m’avaient harcelée quand j’étais ado. Voici ce qu’elles avaient à dire - BLOG

HARCÈLEMENT SCOLAIRE —Si vous avez été harcelé·e ou exclu·e pendant l’enfance ou l’adolescence, vous ne serez pas surpris·e d’apprendre que des études ont démontré les effets à long terme de la victimisation par ses pairs. En tout cas, c’est ce qui m’est arrivé.

Pendant des décennies, j’ai lutté contre une dépression rampante, des angoisses et le sentiment d’être inadaptée et inaccomplie, symptômes qui ont perduré malgré des années de thérapie. Je ne prétendrai pas que mes problèmes de santé mentale ont pour seule origine le harcèlement dont j’ai été victime à l’école, mais cette expérience a eu un impact durable. Ma timidité maladive, mon hypersensibilité et les complexes ont fait de moi une cible idéale pour le harcèlement et l’exclusion.

Un jour de 2019, alors que je procrastinais au bureau, j’ai pensé à une fille qui m’avait rejetée en 5. Je ne pouvais pas y penser sans avoir mal. Je me suis demandé si elle se rappelait la façon dont elle avait mis fin à notre amitié et si elle avait des regrets.

Soudain, j’ai eu une idée. Pourquoi ne pas interviewer mes ex-camarades du collège et du lycée — pas seulement celles qui m’avaient harcelée, mais toutes les filles, les harceleuses, les harcelées et celles qui semblaient n’être ni les unes ni les autres — sur leur vie sociale quand nous grandissions à Westchester, dans l’État de New York? L’idée m’a semblé tellement bonne que j’ai mis de côté la gêne que je ressentais à contacter des gens avec lesquels je n’avais pas parlé depuis 40 ans!

Grâce aux réseaux sociaux, il a été très facile de retrouver un grand nombre de mes camarades de classe. J’ai commencé par leur envoyer des messages leur décrivant mon projet et leur ai demandé si elles souhaitaient y participer. La plupart m’ont répondu immédiatement. Si certaines ont affirmé ne pas très bien se souvenir de ces années, d’autres se sont montrées enthousiastes et m’ont dit qu’elles avaient beaucoup de choses à raconter.

Publicité

Jusqu’à présent, j’ai parlé à près d’une trentaine de personnes et j’espère en interviewer beaucoup d’autres.

Parfois, on harcèle les autres parce qu’on est soi-même harcelé·e. C’était sûrement le cas de l’une des camarades que j’ai contactées et qui m’avait tourmentée sans relâche pendant le collège. Au début, elle a été réticente à me parler. Elle a ignoré mon premier message Facebook, mais, quand je l’ai relancée, elle a répondu: “Simone, j’espère que tout va bien pour toi. C’est un peu dur pour moi de prendre part à cette enquête. Je n’ai pas toujours été gentille avec toi. J’en suis vraiment désolée”.

J’ai répondu et je l’ai rassurée en disant que j’interviewais toutes les filles de notre classe, et pas seulement elle. Quelques minutes plus tard, à mon grand étonnement, j’ai entendu mon téléphone sonner. C’était mon ancienne harceleuse.

“Je suis vraiment désolée”a-t-elle insisté pendant toute la conversation. “Je te jure que je ne suis pas méchante. Je pense constamment à ce que je t’ai fait. Je ne sais pas pourquoi c’est toi que j’avais choisie. À la maison, j’avais une vie pourrie.” Elle m’a révélé les traumatismes qu’elle avait subis, et même si j’avais pu deviner que ma camarade de classe venait d’un milieu difficile, l’entendre en parler changeait tout. J’ai finalement pu lui pardonner et, je l’espère, l’aider à se pardonner à elle-même.

Publicité

J’ai été surprise d’apprendre que nombre de filles “populaires“ payaient un prix élevé pour maintenir leur position. Comme me l’a indiqué une ancienne pom-pom girl, les filles de sa bande étaient tellement mesquines entre elles qu’elle a grandi en ne faisant jamais confiance aux femmes. “Je n’ai eu aucune vraie amie jusqu’à l’âge de 43 ans”, m’a-t-elle révélé.

J’ai retrouvé les filles qui m’avaient harcelée quand j’étais ado. Voici ce qu’elles avaient à dire - BLOG

Une autre femme – que je trouvais populaire, intelligente et très belle – avait appris très tôt que “la solitude n’était pas une bonne chose et [qu’elle devrait] faire des sacrifices pour se faire des amies”. Elle m’a raconté qu’elle avait fait partie d’un groupe qui avait exclu une camarade en 5. “J’étais coupable et je crois que j’ai immédiatement pensé, et pour toujours, que c’était mon point faible. C’était cruel. (…) Je me sens toujours coupable, toutes ces années après.” Par la suite, elle a appelé la personne exclue pour s’excuser de l’avoir blessée. Elle m’a dit que cet échange leur avait apporté un grand soulagement à l’une et l’autre.

J’ai parlé avec cinq femmes qui étaient très sportives pendant les années de collège et de lycée. Toutes ont dit que leur condition physique les avait aidées à se protéger des pressions sociales de l’enfance et de l’adolescence. Être bonnes en sport leur donnait confiance en elles et faisait tomber les barrières entre bandes qui existaient à l’école car elles jouaient dans des équipes qui comptaient des membres venant de différents groupes d’amies.

Comme me l’a expliqué une femme qui était arrivée dans notre collège en 3, “je crois que comme j’étais une bonne nageuse, j’avais une certaine confiance en moi. Je connaissais mes capacités et cela me donnait de la crédibilité. On ne m’embêtait pas.“

Une autre m’a raconté une histoire touchante: elle était capitaine de l’équipe de gym. Elle se souvient que quand elle constituait les équipes, il y avait une fille qui était toujours choisie en dernier. “Un jour, je ne sais plus pourquoi, j’ai décidé de la choisir en premier. Je revois encore son sourire. Ca m’a changée. J’ai compris que gagner n’était pas ce qu’il y avait de plus important.“

Mes conversations avec certaines ex-camarades ont confirmé que beaucoup des filles qui semblaient avoir une vie sans histoires – et même enviables – galéraient comme les autres.

“Je me suis toujours sentie rejetée, comme un vilain petit canard“, m’a dit une femme dont j’avais pensé qu’elle était l’une des plus jolies, athlétiques et appréciées de la classe. “Je n’oublierai jamais le bal de 5. J’étais toute contente de ma tenue. Je me rappelle être entrée et avoir vu ce groupe de filles qui me regardaient de la tête aux pieds et ricanaient. J’ai eu l’impression que le bal s’était arrêté et j’ai compris à quel point j’étais décalée. J’ai pensé que j’étais vraiment à côté de la plaque, complètement nulle. Je suis allée aux toilettes et j’ai pleuré. Ensuite, j’ai appelé ma mère qui est venue me chercher. Depuis ce jour, j’ai l’impression que je ne sais pas m’habiller.”

Parler à certaines des filles qui avaient été les victimes des pires harcèlements n’a pas été simple. J’ai supposé que beaucoup avaient choisi de mettre leur enfance et leur adolescence à distance et de ne jamais regarder en arrière. Malgré tout, j’ai réussi à en retrouver certaines.

L’une m’a dit: “J’ai détesté l’école et ai été victime d’un harcèlement intense. (…) Ce n’est qu’en arrivant au lycée que j’ai intégré un groupe d’élèves. J’avais l’impression qu’on nous avait cataloguées ‘hippies’ et qu’on en portait les stigmates.”

Une autre s’est souvenue avoir été harcelée à plusieurs reprises à l’école primaire et au collège. “Ma mère m’avait dit de tendre la joue gauche, mais ça ne fonctionnait pas. Je n’avais aucun moyen de me défendre et, à cet âge, les enfants ne défendent pas leurs camarades.“ En 3, elle a arrêté l’école et s’est enfuie, pour finalement atterrir dans une école privée où le harcèlement était encore pire. Dans une troisième école, “les enfants avaient tous divers problèmes. Je suis devenue une harceleuse et je les frappais avec mes sabots. J’ai été exclue et je me souviens avoir pensé que c’était moi la plus forte, maintenant.”

Publicité

Alors que je poursuivais cette enquête et commençais à mettre en forme tout ce que j’avais appris, je me suis soudain interrogée sur mon propre comportement durant ces années. J’ai réalisé qu’à certains moments, j’avais choisi de me prendre pour une victime. Je sais que certains de mes camarades admiraient mes talents musicaux, qu’ils pensaient que j’étais jolie et gentille mais par moments, j’étais trop préoccupée par mon propre statut pour accepter leurs attentions.

J’ai aussi dû reconnaître que je n’avais pas toujours été gentille avec les autres. Même si je ne crois pas avoir harcelé qui que ce soit, j’ai certainement participé à des commérages et évité des camarades de classe qui risquaient selon moi de mettre en danger mon petit statut social. Cela a pris forme dans mon esprit quand deux femmes que j’ai interviewées ont expliqué s’être senties “invisibles” à l’école. “Je n’étais pas harcelée; je me sentais juste mise à l’écart, comme si je n’avais pas ma place“, m’a dit une ex-camarade. En entendant ça, j’ai regretté de ne pas avoir tendu la main à cette fille, et à d’autres, quand j’en avais la possibilité.

L’immense majorité de mes conversations avec ces anciennes camarades m’a beaucoup apporté. Si certaines de mes impressions ont été validées (chaque personne à laquelle je me suis adressée semble avoir reconnu la même hiérarchie entre pairs), je me suis rendu compte que d’autres étaient sans fondement. Pouvoir prendre du recul et voir les choses sous un angle différent après toutes ces années m’a montré qu’on ne peut jamais savoir ce qui se passe dans la vie des autres. Et même si je peux avoir été blessée par certaines personnes, apprendre ce qu’elles vivaient m’a poussée à porter moins de jugements sur les autres.

Ce projet m’a finalement donné l’occasion de pardonner aux filles qui m’avaient rejetée et tourmentée. Après des décennies de souffrance et de rancœur, je les vois désormais pour ce qu’elles étaient – des adolescentes qui affrontaient leurs propres épreuves, certaines communes à beaucoup d’entre nous, d’autres plus douloureuses que ce que je peux imaginer.

Le plus important est peut-être que le fait de reprendre contact avec ces femmes m’a aidée à résorber le manque de confiance et la honte que j’avais ressentis pendant des années. Je ne me vois plus comme inférieure aux filles “populaires”. En fait, mon projet a été reçu avec admiration et enthousiasme par nombre des femmes que je cherchais à impressionner il y a si longtemps. Ces changements m’ont redonné confiance en moi et je crois désormais en ma force, mon courage et ma valeur. En outre, la meilleure image que j’ai de moi a eu des conséquences positives sur mon travail, mes relations et mon bien-être général.

Je ne dirais pas que ce genre de projet convient à tout le monde et je ne peux pas prétendre que les autres obtiendraient les mêmes résultats s’ils décidaient de recontacter des personnes de leur passé. Pour certains, tirer un trait sur le passé peut être le meilleur moyen d’aller de l’avant. Tout le monde n’évolue pas. Tout le monde n’est pas prêt à discuter de ce qui est arrivé, et encore moins à présenter des excuses.

Mais, en ce qui me concerne, me confronter aux démons de mon enfance a eu un effet incroyablement apaisant et c’est ce que je souhaite à tout le monde, indépendamment de ce que l’on a été, et des personnes qu’on a fait souffrir ou non.

Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Claire Bertrand pour Fast ForWord.

À voir également sur Le HuffPost: Marche blanche pour Alisha, l’adolescente morte noyée à Argenteuil

Envoyer une correction Plus:témoignageharcèlementlifeharcèlement scolaire

Simone Ellin

Rédactrice indépendante