Société française: le révélateur Nutella | Slate.fr
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Contenu Partenaire - Depuis la mi-janvier, profitant de la période des soldes, le groupe Intermarché a lancé une opération promotionnelle baptisée «les quatre semaines les moins chères de France». Au programme, comme le rappelle Rebecca Pagani: «-70% chez Intermarché. Couches-culottes de 23,95 euros à 7,18 et Nutella de 4,50 euros à 1,41 euros».
La guerre des prix
Les objectifs du groupe, dont le PDG a changé en 2016, étaient ambitieux comme le souligne ce «rappel des résolutions d’@intermarché énoncées par #ThierryCotillard. @mousquetairesfr». A savoir une augmentation du chiffre d’affaire et des parts de marché et plus encore améliorer la désirabilité de la marque. Avec en plus de nouvelles campagnes publicitaires dont la durée de près de trois minutes étonne dans un monde dominé par la théorie des cinq secondes, cette stratégie a relancé la guerre des prix qui avait semblé se calmer au cours des dernières années.
Mais «la grande distribution est aux abois et a besoin de créer l’événement. Elle trouvera toujours un moyen de s’adapter à la règle selon Bernard Cova professeur @KedgeBS #Nutella #Intermarchéou comment provoquerune #comdecrise». Et pour créer l’événement, on peut dire qu’Intermarché a frappé fort en déclenchant des émeutes et des bagarres entre consommateurs hystériques pour récupérer coûte que coûte les fameux produits en promotion.
Bonne ou mauvaise idée, la presse tente de décortiquer le calcul du groupe de distribution. Challenge titre: «#Marketing une analyse des opérations de #Promotion des ventes organisées par #Intermarché #Nutella #Pampers». Pour le bloggeur Pierre Parrillo Intermarché a largement atteint son but, «#Nutella et #CouchesCulottes: habile stratégie d’#Intermarché qui quelle que soit la suite donnée à cette affaire, se sera offert une campagne de pub peu onéreuse et percutante… De la stratégie marketing pure».
Reste à savoir si attirer ainsi une telle attention et créer une polémique est vraiment bénéfique en terme d’image? De nombreux twittos s’interrogent notamment sur la pertinence du choix des produits soldés. «Pourquoi les magasins ne baissent pas les prix des légumes et des fruits à cinquante centimes pour aider les gens à bien se nourrir. Pourquoi des baisses sur des produits néfastes pour la santé et la planète»?
La célèbre pâte à tartiner est dans le collimateur des défenseurs de l’environnement depuis plusieurs années à cause de l’huile de palme qu’elle utilise en grande quantité et dont les cultures mettent en péril nombre d’animaux comme s’en émeut David Vincent: «#NutellaTueLesOrangsOutans et d’autres mammifères #Intermarché #Nutella #NutellaGate».
Mais les vraies questions consistent à savoir si cette stratégie marketing est acceptable et ce que les émeutes qu’elle a provoqué révèlent de notre société. C_Ouam est très critique: «prix cassés: à quoi joue Intermarché? C’est du grand n’importe quoi, synonyme de casse sociale, on ne gagne pas avec ce type de ventes à perte qui brouillent tout #Intermarché». Sachant que la vente à perte est interdite en France, sauf en période de soldes, une vérification du cadre légal va être mise en place: «promotion sur le Nutella: la répression des fraudes va ouvrir une enquête». Des avocats doutent de l’existence d’ un quelconque délit, car «le ministre de l’Économie feint de ne pas savoir que la revente à perte n’est plus réprimée depuis plusieurs années à cause de l’UE. À quand remonte le dernier PV de la #DGCCRF #nutella #Intermarché».
Pour preuve, Intermarché n’a pas suspendu son opération. «Ceci n’est pas un fake, malgré la polémique les affiches #Nutella @Intermarché promo à moins 70% sont toujours là #nutellariots». Hormis quelques modifications de calendrier, comme dans la Loire où la mise en rayon de certains produits a été reportée pour des raisons de sécurité («chez #Intermarché, après le #NutellaGate la peur de la #CoucheGate? #Nutella #pampers #promotion #France2018 #Société»), les soldes monstres continuent.
Certains twittos n’ont pas hésité par provocation à interpeller les concurrents d’Intermarché: «@CarrefourFrance quand est-ce que vous déciderez de faire des vraies promos comme #Intermarché @Intermarché #pampers #nutella». Ils ont été entendus... But a annoncé une opération commerciale autour du pot de pâte à tartiner. «Attention #émeute prévue demain chez #But: mais il se passe quoi avec #nutella? Tous les moyens sont bons pour faire venir le chaland. 10 000 pots offerts @But. #TRISTEMONDE».
Cynisme, émeutes et condescendance
Comme le résume froidement Agent 140: «je découvre avec un train de retard le #NutellaGate. Pour ceux qui l’ont raté aussi je résume: des personnes aux moyens parfois limités se battent pour acheter de la merde à prix d’or, sous le regard hautain de ceux qui se pensent au-dessus de cette opération marketing nulle».
Les images des supermarchés pris d’assaut par des consommateurs qui en viennent aux mains ont étonné et surtout dérangé, tout comme les témoignages sur place. «Émeutes pour du #nutella. Une directrice de magasin à Metz: «les gens étaient agressifs, ils essayaient de s’arracher les pots et nous menaçaient»». Un salarié: «les gens se sautaient dessus et semblaient affamés. J’ai vu une femme avec des griffures sur les bras» Franceinfo». L’apparition soudaine sur les écrans d’une France qu’on ne veut pas voir...
Comment comprendre ces images, quelles significations leur donner? Telle est la question qui agite Twitter. Pour certains, c’est le révélateur d’une société déliquescente, droguée au consumérisme aveugle: «#NutellaGate le pot de #Nutella n’est pas indispensable! C’est de la pauvreté intellectuelle @ElinaDumont #GGRMC». «Non @BrunoLeMaire. Quand des gens se ruent et se battent pour profiter de promotions, il n’y a pas qu’un problème de rémunération du travail. Il y a aussi et surtout un problème lié à la civilisation de la société de consommation #Nutella #Pampers #RTLMatin».
La comparaison est aussi faite avec les files d’attente pour être les premiers à acheter le dernier produit électronique à la mode. «Quand une célèbre marque à la pomme sort un smartphone, c’est tout aussi débile et moins excusable car, là, il n’y a pas de misère sociale @Olivier_Truchot #GGRMC ».
De nombreux twittos dénoncent le mépris social et la condescendance, comme le journaliste Thomas Vampouille: «quand la France qui fait la queue pour un iphone à 1000 balles se fout de la gueule de celle qui en fait autant pour une promo sur le #Nutella. Enfin un traitement décent de cette affaire par @leparisien».
Lutte des classes
La lecture dominante sur Twitter n’est pas psychologique mais celle marxiste de la paupérisation de la France d’en bas. Comme dirait Jean-Luc Mélenchon: «quand l’émeute montre la misère, l’idiot regarde le #Nutella». Et certains de pointer le détournement attendu par les politiques: «après le #nutella j’attends les marcheurs qui vont nous expliquer que ce sont des tarés cédant à l’hyperconsommation et pas un signe de la pauvreté grandissante».
Des acheteurs vexés ont d’ailleurs tenu à justifier leur présence à ces promotions: «affaire du #Nutella. «Cinglés». «Sauvages». Les insultes pleuvent. Très vite, certains chuchotent un autre mot: «précarité». Laetitia (521euros/mois): «d’habitude je ne prends que des marques top budget. Là je voulais juste faire plaisir à ma fille…».
Le nombre de Français sous le seuil de pauvreté (en-dessous de 60% du revenu médian) augmente, tout comme celui des travailleurs pauvres. Certains comme Alphatique Monder jugent qu’«il y a des pauvres qui assument et ceux qui veulent se montrer riche en achetant des produits de marques alors qu’il y a des sous-marques bien mieux que les marques #Nutella #Pampers». Mais les émeutes Nutella et Pampers sont aussi l’expression contemporaine d’une société qui frustre les moins aptes à consommer.
Les comparaisons avec des pays soumis à la pénurie et au rationnement comme le Venezuela se sont multipliées sur Twitter. «On a vu des scènes dignes du Venezuela! Face à ça, il faut une réponse juridique! @GWGoldnadel #GGRMC ». Un rapprochement contestable. En France, les magasins ne sont pas vides et il ne s’agit tout de même pas d’émeutes de la faim.
Peut-on aussi considérer que la grande distribution fait pour le pouvoir d’achat des Français ce que l’Etat n’est plus ou pas capable de faire? «Les trois pots de Nutella: 12 euros d’économie. Le paquet de couches Pampers c’est 16 euros d’économie donc 28 euros. La concurrence dans les marchés de biens et de services est un gisement bien plus efficace et moins coûteux que toute redistribution étatique qui paupérise les missions régaliennes».
Cacher cette réalité
L’Etat justement ne pouvait pas ne pas réagir. Nous sommes en France. Et l’image du pays de Macron pourrait en souffrir. «Selon @franceinter, à la vue des images des «émeutes Nutella», Macron aurait exprimé sa peur que «le monde se foute de nous…». C’est sûr pour le Président des riches, la pauvreté c’est honteux». En plein sommet de Davos, «la France voulait parler aux riches de la planète. Et voilà ses pauvres qui viennent se rappeler à son bon souvenir».
Cela n’a pas échappé à la presse étrangère. «L’affaire #NutellaRiots a dépassé les frontières. C’est la chaine américaine CNN qui rappelle que cet incident en France n’est pas le premier du genre». Pour La Repubblica en Italie: «#Nutella l’offre des supermarchés, trop de monde. Le gouvernement français bloque les promotions».
Plus fondamentalement, les images d’émeutes dans les Intermarchés alimentent les critiques d’une France à deux vitesses et du Président des riches. La théorie macronienne du premier de cordée en prend pour son grade comme s’en fait l’écho Coralie Delaume: «Tout va très bien. C’est nickel. La magie commence à opérer, et le ruissellement des premiers de cordée est en train de produire ses premiers effets. Une société en très bonne santé, quoi».
Le ministre de l’Économie a tenté maladroitement de faire dévier la polémique: «ruée vers le #Nutella et les #Pampers «on voit aussi ces scènes dans les magasins de luxe» ose Bruno LeMaire». Il a aussi affirmé son autorité: «#NutellaGate j’ai reçu le directeur d’Intermarché hier. Je lui ai dit que ça ne pouvait pas se renouveler. Il me l’a promis. La confiance, c’est très bien. Le contrôle c’est encore mieux» dit @BrunoLeMaire dans #RTLMatin avec @EliMartichoux».
Comme toujours en France, quand il y a un problème, il faut une loi. Le gouvernement réfléchirait à un projet de loi pour contrôler voire interdire les soldes sauvages notamment pour valoriser les productions… et évidemment éviter les émeutes. Réaction immédiate des twittos: «On rit jaune quand le gouvernement te dit on va limiter les promotions pour aider les producteurs. En prenant l’exemple du #NutellaGate et #Pampers #Intermarché».
Entre le mépris des uns, l'hystérie des autres, les jugements moraux, le cynisme et les velléités de légiférer, la meilleure réponse est sans doute dans l’humour comme le fait l'actrice Frédérique Bel qui propose une explication rationnelle: «la Seine déborde, des babouins s’échappent par dizaines du zoo de Vincennes, des rats envahissent Paris, des supermarchés sont dévalisés pour du Nutella, et il ne s’arrête pas de pleuvoir… Quel est le con qui a démarré une partie de Jumanji ?????».