Covid-19 : est-ce trop tôt pour lever les restrictions ? Abonnés
► « Il faut conditionner les allégements à des indicateurs sanitaires »
Djillali Annane, chef du service de réanimation de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches
« La circulation du virus n’est pas assez atténuée pour que la levée prévue des restrictions soit faisable sans risques. Les mesures prises ont pour but de limiter la circulation du virus afin d’éviter que les gens tombent malades et que les hôpitaux soient surchargés. La logique voudrait qu’on lève ces restrictions lorsque la probabilité de tomber malade a fortement diminué, voire disparu. Nous n’en sommes pas là. Aujourd’hui, la France fait partie des trois des pays du monde qui comptent le plus de contaminations quotidiennes.
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Ces contaminations dues à la puissante vague du variant Omicron ont des conséquences : les formes graves ne sont pas si rares et les admissions quotidiennes en réanimation se poursuivent. Dans mon service, 90 % des patients sont atteints du coronavirus.
Il est donc curieux de définir un calendrier de levée de restriction. Pour cela, il faut être très confiant dans les prédictions. Plutôt que de fixer des dates, il serait plus sensé de conditionner des allégements à des indicateurs sanitaires, comme le nombre de personnes hospitalisées. Actuellement, il est difficile de savoir à quel niveau seront ces indicateurs le 2 ou le 15 février. D’autant plus que l’on sait encore peu de choses sur l’impact que pourrait avoir le sous-variant BA.2 sur la suite de la pandémie.
Dès lors que la levée des restrictions n’est pas basée sur des indicateurs sanitaires, il devient compliqué d’expliquer à tous l’utilité de garder les gestes barrières. Comment voulez-vous faire croire aux gens qu’il faut continuer à appliquer des consignes le 1er février, mais que le lendemain il n’en est plus rien ?
Lorsque le gouvernement explique que l’on va pouvoir se relâcher, les gens qui ont pour seule source d’information les autorités sanitaires y croient. Ils n’ont aucune raison de ne pas le croire, puisque la situation semble encourageante. Mais nous les soignants, sur le terrain, voyons les gens malades et dans quelles conditions ils sont tombés malades. Il y a donc une sorte de décalage.
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Avec le recul, je dirais qu’au début de la pandémie, en mars et avril 2020, le poids des indicateurs sanitaires et le point de vue médical ont été trop prédominants dans les décisions politiques. Aujourd’hui c’est l’inverse, les décisions ne sont que politiques. Nous avons un calendrier qui n’est pas calqué sur les indicateurs sanitaires, mais qui s’articule avec le calendrier électoral.
Si l’on enlevait le contexte de campagne électorale pour ne regarder que les indicateurs sanitaires, on s’apercevrait directement que la situation n’est pas bonne : nous sommes à un demi-million de contaminations par jour, plus de 30 000 personnes sont hospitalisées et, en réanimation, nous voyons des gens mourir tous les jours. Sans cette échéance électorale, personne ne viendrait dire aujourd’hui que la situation sanitaire est bonne et que l’on peut alléger les restrictions. »
► « Qu’on le veuille ou non, il va falloir apprendre à vivre avec le virus »
Philippe Amouyel, professeur de santé publique au CHU de Lille et directeur de la Fondation Alzheimer
« Tout dépend de la nature des restrictions et des chiffres concomitants des hospitalisations. La fin du masque à l’extérieur, l’allégement du télétravail et la fin des jauges dans les lieux publics à partir du 2 février, sont des risques acceptables à l’heure actuelle. Je suis favorable à un démarrage de la sortie de crise, avec une levée mesurée des restrictions, surtout celles qui ne servent pas à grand-chose. Concrètement, ne plus mettre le masque à l’extérieur, cela ne va rien changer parce que cette mesure n’a jamais été très utile. Alléger le télétravail ne va pas non plus ramener tous les salariés au bureau puisqu’il est déjà rentré dans les mœurs de beaucoup d’entreprises. Quant à la fin des jauges dans les lieux recevant du public, cela pose peu de problème lorsqu’il s’agit d’événements à l’extérieur.
→ ANALYSE. Au Danemark, la flambée d’Omicron n’empêche pas la levée des restrictions
Pour ceux qui ont lieu à l’intérieur, l’abolition des jauges va être accompagnée du passe vaccinal qui est plus restrictif que le passe sanitaire, avec lequel il suffisait d’avoir un test négatif pour entrer. Certes, les gens pourraient se contaminer entre vaccinés, mais ils seront protégés contre les formes graves à plus de 90 %, ce qui n’est pas le cas des non-vaccinés. Les seuls lieux qui vont poser problème, ce sont les salles de meetings politiques où le passe vaccinal ne sera pas obligatoire pour des raisons constitutionnelles. Dans ces conditions et malgré la circulation importante d’Omicron, l’hôpital et les services de réanimation ne devraient plus être saturés. Or, ce sont bien les niveaux de ces deux indicateurs épidémiques qu’il faut surveiller car ils sont à l’origine des crises sanitaires.
En revanche, je serai plus prudent concernant la levée des autres mesures le 16 février. Le gouvernement prévoit d’autoriser la réouverture des discothèques, la reprise des concerts debout et la consommation de boissons ou de nourriture dans les stades, les cinémas, les transports et au comptoir des bars. Pour les discothèques, notamment, je pense qu’il serait encore utile d’y porter un masque FFP2. Des études réalisées en Espagne ont montré que c’était efficace, y compris dans ce genre de situations où il y a beaucoup de promiscuité. Cette proposition peut faire sourire, mais il est important de se poser la question. Pour ce qui est de la consommation de boissons ou de nourriture dans les espaces fermés, c’est toujours problématique lorsqu’ils ne sont pas assez aérés.
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Mais, qu’on le veuille ou non, il va falloir apprendre à vivre avec le virus. On voit bien que les restrictions actuelles ne freinent pas suffisamment la circulation d’Omicron et de ses variants, tous très contagieux. Le vaccin protège des formes graves, limite la contamination, mais ne l’empêche pas totalement, ce qui veut dire qu’on va se contaminer et se recontaminer jusqu’à ce qu’on ait une couche d’immunité suffisante, vaccinale ou naturelle, pour que le Covid évolue à terme vers une forme endémique, voire un simple rhume. »